Les représentants des principales religions soutiennent la proposition des députés. Selon Vsevolod Tchapline, membre de l’Église orthodoxe russe, c’est la sécurité du pays qui est en jeu. Crédit photo : TASS
Les députés russes ont décidé de protéger la sensibilité des croyants. Le mardi 25 septembre, la Douma a commencé à débattre d’un projet de législation « sur la défense des sentiments religieux des citoyens de la Fédération de Russie ». Le document a été proposé par un groupe d’initiative composé de représentants des partis au parlement.
Iaroslav Nilov, président de la commission parlementaire pour les organisations sociales et religieuses, a expliqué que cette volonté de durcir la loi dans ce domaine était liée aux différents évènements qui se sont déroulés dernièrement et ont fait grand bruit. Le député a ainsi pris comme exemple la prière punk du groupe Pussy Riot, mais également d’autres actes contre des représentants de différentes confessions.
« On a observé des cas de profanations d’icônes dans plusieurs villes du pays, ainsi que des dessins de croix gammées, des symboles satanistes et diverses inscriptions sur des églises et synagogues. Deux attaques terroristes violentes ont été perpétrées au Daguestan et au Tatarstan, où des leaders spirituels musulmans ont été visés. Dans le même temps, une église en bois a été brûlée à Krasnodar, un lieu de prière de l’église protestante a été détruit dans la capitale russe, etc. Ces actes menacent la sécurité du pays, et nous devons réagir de manière adéquate », explique ainsi Nilov.
Les députés estiment que la peine maximale actuellement en vigueur pour blasphème, à savoir une amende de 1000 roubles (25 euros), est trop légère. Les amendements proposés prévoient une peine allant jusqu’à cinq ans de prison, 400 heures de travaux d’intérêt général ou une amende de maximum 500 mille roubles (12 500 euros) pour profanations. Et les personnes coupables de blasphème risqueront une amende de 300 mille roubles (7 500 euros), 200 heures de travaux d’intérêt public ou trois ans d’emprisonnement.
« Le blasphème est un acte très dangereux »
Les représentants des principales religions soutiennent la proposition des députés. Selon Vsevolod Tchapline, membre de l’Église orthodoxe russe, c’est la sécurité du pays qui est en jeu.
« Les profanations d’objets vénérés par les croyants et les atteintes aux sentiments des croyants sont semblables aux injures racistes : elles constituent des actes dangereux pour notre monde. Comme tout le monde sait, ces agissements ont souvent provoqué des conflits durant l’histoire et peuvent entraîner des bains de sang car ils opposent un très grand nombre de personnes », met en garde le prêtre.
Les représentants de l’islam en Russie mettent aussi l’accent sur la sécurité nationale. Ils approuvent surtout l’intention des autorités d’interdire la dissémination du film « L’innocence des musulmans ». « Il est très important que les autorités défendent les convictions de leur population, de leur peuple. Dans les pays où les officiels n’ont pas réagi à temps et n’ont pas entendu les appels des citoyens, ces derniers ont envahi les rues pour se ranger du côté des opposants », affirme le premier mufti de Moscou Albir Krganov.
« Il faut adopter de telles lois pour que les personnes ayant l’intention d’insulter les croyants réfléchissent à ce qu’elles risquent », ajoute Rouchan Abbiassov, directeur adjoint du conseil des muftis de Russie.
La Fédération des communautés juives de Russie a également apporté son soutien officiel aux députés. « Il est très important de durcir les peines pour blasphème, surtout au vu des campagnes anticléricales qui sont actuellement menées dans différents pays du monde. Nous avons vu ce à quoi elles mènent », a déclaré Alexandre Boroda, président de l’organisation, à un correspondant d’« Interfax-Religiïa ».
« Simplement de la censure »
Cependant, dire que la proposition des députés a été favorablement accueillie par l’ensemble de la société russe serait exagéré. D’après Lioubov Boroussiak, sociologue et maître de conférences à la Haute École d’Économie, ce projet de loi laisse la porte ouverte à plusieurs types d’abus. « Une telle législation ne peut, par définition, être universelle. Déterminer une peine pour chaque type de délit est irréalisable. Les décisions seront toujours sélectives et arbitraires, parce qu’il est impossible de décrire dans cette loi les actes qu’elle couvre. Cette confusion permettra à la justice d’utiliser, si nécessaire, la législation comme bon lui semble », a indiqué Boroussiak dans une interview à BBC Russia.
Selon l’analyste de la radio « Kommersant FM » Konstantin Eggert, les législations existantes suffisent pour protéger les croyants. « Toutes les tentatives d’adopter de nouvelles lois viseront simplement à renforcer la censure, qui ne sera pas acceptée par une partie importante de la société et se retournera à l’avenir contre l’Église elle-même », estime Eggert.
L’initiative des députés inquiète certains des représentants des principaux cultes. Les craintes d’Eggert sont ainsi partagées par le rabin Michaël Edvabny. « Le code civil prévoit déjà des peines pour incitation à la haine religieuse et raciale, ainsi que pour les dégâts matériels qu’elle peut entraîner. Et contrairement à ces dispositions, le nouveau projet de loi sur la blasphème empiète dangereusement sur le concept de « liberté d’expression » », affirme-t-il.
Le vice-recteur de l’Académie théologique orthodoxe de Moscou Pavel Velikanov ne cache pas non plus ses craintes. « Cela me gêne que les personnes se déclarant comme croyantes bénéficient d’une sorte de statut particulier par rapport aux autres. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi le statut des fidèles serait supérieur à celui des athées au point de disposer d’une protection particulière », s’interroge le prêtre.
Article rédigé à partir de publications de Ria Novosti, Kommersant et du magazine « Pravoslavie i mir » (« L’orthodoxie et le monde »).
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