Seulement 12% des Russes considèrent que l’on peut réussir rien qu’avec un diplôme de l’enseignement professionnel. Crédit : Itar-Tass
Des amis à moi originaires d’une ville du Sud de la Russie sont très heureux : leur fils Petia, 28 ans, a enfin obtenu son diplôme de l’enseignement supérieur. Et cela n’a pas été facile : il a dû quitter trois établissements d’affiliée à cause de ses échecs répétés. Mais ses parents n’ont jamais baissé les bras et ont continué à payer pour qu’il s’inscrive dans un autre institut.
L’enseignement russe à la sauce bolognaise
Étudier en Russie : le bon choix
La première université médicale russo-allemande à Moscou en 2017
J’ai demandé avec intérêt à l’heureuse mère ce qu’allait désormais faire son fils. « Réparer des mobylettes », m’a-t-elle joyeusement répondu.
Mais pourquoi alors avoir fait souffrir Petia pendant dix ans avec ses études si son rêve et sa vocation étaient de réparer des cyclomoteurs ? Je n’ai toutefois pas voulu poser cette question indélicate à sa mère. Parce que dès la naissance de Petia, elle avait un objectif précis : aider son fils à obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur, à n’importe quel prix ! Et elle est loin d’être la seule Russe à viser ce but.
Selon un sondage du Centre russe d’étude de l’opinion publique, 80% de la population veut que ses enfants fassent des études supérieures. Et seulement 12% des Russes considèrent que l’on peut réussir rien qu’avec un diplôme de l’enseignement professionnel. « Cette motivation des citoyens à acquérir des connaissances est un gros atout pour le développement du pays », estime la directrice de l’Institut de développement de l’enseignement de la Haute École d’économie Irina Abankina. « Et une chance de créer une économie innovante ».
D’un côté, un tel succès de l’enseignement supérieur suscite l’optimisme et inspire une fierté justifiée. Pas étonnant dès lors que la Russie occupe la première place au monde en proportion d’habitants diplômés, selon un rapport publié en septembre par l’OCDE. En effet, 54% des Russes entre 25 et 64 ans possèdent un diplôme du supérieur.
D’un autre côté, beaucoup de questions se posent quant à la qualité de cet enseignement et l’attrait de ces diplômes sur le marché du travail.
En URSS, le prestige de l’enseignement supérieur était très important, ce qui influençait notamment les examens d’entrée. Mais à cette époque, ce pays de 300 millions d’habitants comptait 600 universités et instituts. Aujourd’hui, pour 140 millions de Russes, il existe presque 3 000 établissements. Cette augmentation est la réponse aux appels de la société nés avec l’apparition du marché libre dans les années 90. Vous voulez obtenir un diplôme du supérieur ? C’est facile ! Payez une certaine somme et vous deviendrez un spécialiste diplômé.
De nouvelles « académies » et « universités » ont ouvert leurs portes dans tout le pays. Elles sont néanmoins devenues trop facilement accessibles, ce qui a inévitablement mené à leur dévaluation. Mais il semble que cette tendance prendra bientôt fin.
Le ministère de l’Éducation a devant lui une tâche colossale : diminuer le nombre d’établissements du supérieur de presqu’un tiers. Les listes des établissements inefficaces seront ainsi publiées en décembre, et leur réorganisation est programmée pour le mois de mai de l’année prochaine. Une partie d’entre eux fusionneront avec des universités plus fortes, pendant que d’autres essayeront de se « renouveler ». Et ceux qui n’y arriveront pas devront fermer.
}
Certaines universités devront démontrer qu’elles méritent leur titre. Cela signifie qu’elles devront participer aux recherches académiques, développer les sciences, inviter des professeurs du monde entier et enseigner à des étudiants d’autres pays. Ces conditions sont essentielles pour être compétitif sur le marché mondial de l’enseignement.
Tout cela ne sera pas simple. Aucune université russe ne fait partie des 100 meilleures du monde. Dans le dernier classement publié par QS World University Ranking en 2012, l’Université d’État de Moscou occupe la 116ème place, et celle de Saint-Pétersbourg la 253ème.
Irina Abankina appelle cependant à analyser ces résultats de manière objective : « 116ème sur 800, ce n’est pas mal du tout vu la concurrence élevée qui existe, en particulier dans les universités de la région Pacifique ».
Par ailleurs, d’autres établissements russes telles que l’Université technique Bauman, située à Moscou, la Haute École d’économie, l’Institut d’État des relations internationales de Moscou et l’Université de Novossibirsk ont gagné des dizaines de positions dans ce classement. Sans compter l’Institut d’économie Plekhanov et l'Université fédérale d'Extrême-Orient qui ont intégré pour la première fois cette prestigieuse liste. « Le tableau est donc dans l’ensemble positif », selon Mme Abankina.
Certains experts expliquent l’absence des établissements russes des premières places des classements internationaux par une série de raisons. La première est la baisse d’importance de la recherche dans l’enseignement supérieur. À l’époque soviétique déjà, les travaux scientifiques étaient menés dans des centres d’études, sous le patronage des ministères, alors que dans les universités occidentales, les sciences et l’enseignement étaient intimement liés. Cela explique en partie le peu de publications de professeurs russes par rapport à leurs collègues étrangers.
Irina Abankina justifie également ce retard par la langue de l’enseignement, le passage trop lent au système de Bologne et le manque de financements des programmes d’accueil de professeurs étrangers.
La question de l’argent est comme souvent centrale. Les universités russes les plus prestigieuses sont toujours les universités d’État. Mais d’un point de vue des moyens, elles sont loin derrière les leaders du classement. Les budgets d’Harvard ou de Yale sont plus importants que l’ensemble des financements que reçoit l’Académie russe des sciences. Les meilleures universités du monde sont généralement financées en grande partie par des fonds de dotation et des contributions privées. C’est grâce à ces financements qu’elles peuvent mener des études sérieuses et inviter les meilleurs scientifiques.
La baisse du nombre d’établissements en Russie n’est pas seulement une mesure indispensable pour améliorer la qualité de l’enseignement supérieur. Pour certains instituts, elle représente la seule façon de subsister : certains d’entre eux devront fusionner afin de rassembler leurs moyens. Et la barre a été placée très haut : intégrer au moins 5 établissements russes dans le top 100 mondial des meilleures universités.
En URSS, les citoyens soviétiques étaient fiers de vivre dans le « pays le plus alphabétisé du monde ». Le principal critère était le nombre : les livres et périodiques étaient tirés à plusieurs millions d’exemplaires.
Aujourd’hui, pour être fier « du pays le plus alphabétisé du monde », le nombre élevé d’établissements de l’enseignement supérieur et de diplômes qu’ils décernent ne suffit clairement plus.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.