Image de Natalia Mikhaïlenko
En août dernier, des émeutes ont éclaté dans la ville d’Amiens pendant que je passais mes vacances en France. Quelques jours après les confrontations entre les jeunes et la police, les autorités ont arrêté deux adolescents qui avaient profité du désordre pour mettre le feu à une école. Durant l’enquête, les deux hommes paraissaient avoir des difficultés à lire le rapport de la police et ont déclaré avoir agi par colère envers leurs professeurs qu’ils jugeaient trop stricts.
Le politicien de gauche Jean-Luc Mélenchon a très vite trouvé un surnom aux deux jeunes, Christophe et Wilfrid : les « crétins d’Amiens ».
Le fait que Mélenchon se soit montré plus furieux que les autres politiciens en exprimant son indignation est très significatif. Pourtant, le système d’enseignement français est toujours l’un des meilleurs d’Europe et, alors que la gauche française essaye de protéger les institutions éducatives de la mondialisation et des coupes budgétaires, les deux « crétins d’Amiens » ont mis le feu à leur école pour prendre leur revanche sur des enseignants qu’ils considéraient comme trop sévères. Ces « pyromanes » viennent évidemment de classes sociales défavorisées.
Le problème est que même le meilleur système d’enseignement ne peut résoudre les problèmes de société. Pire, le contraste entre la discipline, la rigueur et l’efficacité du système scolaire et la désorganisation grandissante de la vie sociale devient source de tensions psychologiques et culturelles.
Pour la génération précédente, tout était encore clair. Une bonne école servait d’ascenseur social pour les jeunes des classes moins favorisées. Les enfants issus de l’immigration ou de familles françaises pauvres savaient qu’ils devaient bien étudier, suivre les règles, mémoriser les vers de Jean Racine ou Pierre Corneille, potasser leurs mathématiques et maitriser l’histoire du pays pour décrocher un bon emploi et réussir dans la vie. Les écoles françaises ont toujours été strictes, autoritaires et difficiles. Et il doit d’ailleurs en être ainsi. Proposer des études faciles et amusantes ne sert à rien. On sait depuis longtemps que la maxime « en s’entraînant dur, tout devient plus facile » est la clé de toute bonne formation.
Par le passé, de tels efforts étaient récompensés, et donc justifiés. La société française a accueilli et récompensé les jeunes les mieux formés en leur offrant des emplois ainsi que des opportunités de carrière.
Mais tout cela a changé ces 20 dernières années. L’éducation française est restée aussi stricte, rigoureuse et pointilleuse qu’auparavant. Les écoles continuent d’exiger des élèves qu’ils maîtrisent leur sujet au lieu de mémoriser bêtement ou de copier sur Wikipédia.
Mais la société française n’offre plus les mêmes opportunités aux diplômés, et la situation s’est encore aggravée à cause de la crise économique mondiale. Le chômage chez les jeunes ne cesse de grimper, et les opportunités d’emploi qui existent ne fournissent pas le même « boost » social qu’auparavant.
Il n’y a pas si longtemps, un enseignant qui portait beaucoup d’attention à la discipline et testait rigoureusement les connaissances de ses élèves était respecté à la fois par les élèves et par les parents. Désormais, beaucoup considèrent ce genre de profs comme des sadiques. Le niveau des étudiants recule car ils fuient les difficultés psychologiques et, par la même occasion, le savoir. On remarque ainsi que plus le système scolaire devient exigeant, plus le gouffre se creuse entre les autorités et certains jeunes comme les « crétins d’Amiens ». Et cette situation n’est malheureusement pas propre à la France.
Boris Kagarlitski est directeur de l’Institut d’étude de la mondialisation.
Article intégrale en anglais sur le site The Moscow Times.
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