Le procès des Pussy Riot est révélateur de bouleversements significatifs au sein de la société russe. Crédit photo : TASS
Des gros bras surveillent les abords de la cathédrale du Christ sauveur, lieu du « délit » des Pussy Riot. Sous un ciel de plomb, ils passent au crible les fidèles pour repérer les suspects : ceux qui viendraient soutenir les trois punkettes tout juste condamnées à deux ans de camp. L’atmosphère est tendue, sur le fil du rasoir.
« J’ai pitié de ces filles mais je ne peux pas accepter ce qu’elles ont fait. Elles ont tout de même blasphémé contre la sainte Vierge », commente Tatiana Sarganskaïa, 54 ans, fidèle de l’Église orthodoxe.
Le procès des Pussy Riot est révélateur de bouleversements significatifs au sein de la société russe. Dès le début, deux camps distincts se sont formés pour se diviser définitivement à l’issue du procès, laissant peu de gens indifférents. D’un côté, ceux qui revendiquent la séparation de l’Église et de l’État et de l’autre, les activistes orthodoxes qui prônent une présence accrue de l’Église à tous les niveaux.
Le soutien des Russes à l'église. Image de Natalia Mikhaïlenko. Source : FOM. Cliquez sur l'image pour agrandir.
Parfois, les positions surprennent. Le leader du parti communiste Guennadi Ziouganov s’est retrouvé du côté de l'Église en affirmant qu’elle était sujette à une « puissante attaque psychique ». Réputé très conservateur, il a soutenu que « Staline a beaucoup fait pour la renaissance de la croyance orthodoxe dans le pays ». À l'inverse, beaucoup de chrétiens ont estimé que l'Église aurait pu faire preuve de davantage de miséricorde.
Le haut clergé s'est prudemment tenu à l’écart de l’affaire , attendant le verdict pour demander davantage d'indulgence envers les Pussy Riot. Tout en se gardant bien d'aller jusqu'à contester la sentence. Le prêtre Sergueï Baranov, chef de l’éparchie de Tambov, a été tellement choqué par le verdict qu’il a décidé de quitter l’Église orthodoxe russe : « Bien sûr, les actes des Pussy Riot sont inadmissibles, mais la tournure qu’a pris le procès et le verdict qui en découle sont, à mon avis, blasphème et sacrilège ». C’est l’avis de la plupart des défenseurs des Pussy Riot : ils condamnent leurs actes mais l’absurdité du jugement les pousse à prendre le parti des faibles.
À l’opposé, se sont formés des groupes d’orthodoxes radicaux. « Le bien doit avoir de bons poings », lance Ivan, 23 ans, persuadé d’être du côté de la vérité et de Dieu. Ses camarades et lui font la ronde dans les rues, traquant les t-shirts inspirés de Pussy Riot. Plusieurs villes ont déjà leur « service de sécurité orthodoxe ».
Vladimir Poutine et l'Église orthodoxe russe n'ont jamais caché entretenir des relations étroites et cordiales. Les autorités ont soutenu le retour de terres de l'Église et des monastères, confisqués par les autorités soviétiques. L'Église, à son tour, n’a jamais critiqué le pouvoir et a même accordé une origine sacrale au pouvoir de Vladimir Poutine. Les autorités ont donné le feu vert à l’enseignement des bases de l'orthodoxie à l’école, suscitant un large débat. Cette union est devenue particulièrement évidente quand Cyrille a pris les fonctions du Patriarche. Ce dernier a appelé les orthodoxes à ne pas participer aux manifestations de l'opposition. Enfin il a appelé à voter pour Poutine aux élections présidentielles.
Une autre polémique enfle sur les aspects matériels. Toute l’information sur la fortune de l'Église est cachée. Chacune de ses plus de 30000 paroisses est une entité juridique indépendante, la même situation prévaut avec 160 éparchies et le Patriarcat de Moscou. « Où prennent-il cet argent, cela demeure un mystère », commente Nicolai Mitrochine, spécialiste du Centre d'études sur l'Europe orientale de l'Université de Brême.
Du fait de sa discrétion, le nombre de scandales autour de l'argent de l'Église russe orthodoxe est moindre aujourd'hui que dans les années 90. Mais le débat reste vif autour du retour des biens de l'Église. Selon une loi de 2010, toutes les organisations religieuses peuvent exiger le retour de la propriété à usage religieux. Autrement dit, l'Église pourrait redevenir le plus grand, ou l'un des plus grands propriétaires du pays - comme avant la Révolution de 1917.
Les scandales liés au patrimoine du clergé, y compris la montre à 30000 euros de Cyrille, n'ont pas influencé la confiance en l'Église. Le représentant du Patriarcat de Moscou Vsevolod Tchapline a déclaré que la richesse de l'Église reflète son prestige social. Et pour l'archiprêtre, ce prestige doit être « le plus visible possible et refléter la place de l'église dans la vie sociale, que chaque croyant estime être centrale ». Quant à ces gens qui reprochent au clergé son goût du luxe, l'archiprêtre Tchapline les qualifie tout simplement d'« ennemis ».
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