Restez en-dehors de la religion !

Image par Nyiaz Karim

Image par Nyiaz Karim

L'affaire des Pussy Riot a sérieusement attisé les conflits religieux au sein de la société russe. Pourtant, impossible de dire que l'église orthodoxe russe se soit particulièrement mêlée de la vie politique et sociale jusqu'alors.

Dans les milieux de la boheme moscovite où il est habituel de regarder de haut la religion orthodoxe, il semble normal de tanser l'Eglise orthodoxe russe pour ses interventions dans la société.

Il est vrai que différents signes de telles interventions existent : dans une certaine mesure on fait pression contre les droits d'autres confessions, on essaye sans arrêt d'introduire les fondements de l'orthodoxie dans les écoles, ou de construire des églises orthodoxes dans les zones urbaines déficientes, les offices de noël et de pâques sont retransmis en direct par les chaînes de télévision étatiques d'un pays formellement laïque.

En tant qu'homme profondément laïque et athée, – de plus comme politicien, défendant par conviction, par principe le caractère laïque du gouvernement et l'égalité des confessions – une telle situation m'inquiète aussi. Cependant, par souci d'équité, je dois reconnaître, que je n'ai encore jamais connu de pression particulièrement excessive de la part de l'Eglise dans ma vie – y compris dans sa composante politique et sociale.

En outre, certaines interventions de l'Eglise sur les fondements laïques de l'Etat, en général, n'ont pas apporté de résultats particuliers. L'idée de l'enseignement obligatoire de la religion orthodoxe dans les écoles a été repoussée, ainsi qu'un certain nombre d'autres initiatives de l’Eglise. Je ne dirais donc pas que la Russie se transforme en un État théocratique.

Il est ainsi d’autant plus étrange pour moi de voir combien d'intellectuels russes, des hommes de la classe entreprenante, la soi-disant «Classe créative», ont mis en scène ces derniers mois, certains accès de colère absolument fantastiques concernant l'église orthodoxe dans le cadre de l’affaire des Pussy Riot. C'est terriblement irritant et néfaste. C’est même bien plus néfaste que tous les problèmes causés par les activités de l'Église orthodoxe pris ensemble.

Il faut ainsi rappeler différents aspects de cette affaire. Premièrement, les actions, dirigées dans l’enquête sur les Pussy Riot sont initiées évidemment non pas par l’Eglise et les croyants, mais par notre gouvernement, lequel a permis, voire encouragé, durant les dix dernières années, à augmenter et renforcer la composante religieuse de notre vie quotidienne.

Deuxièmement, il y a la question même des Pussy Riot. En voici un exemple. Nadya Tolokonnikova est d’abord apparue sur la scène politique russe pendant la « marche des mécontents » le 14 avril 2007, accompagnant son mari bien connu Piotr Verzilov, qui avait bondi sur les voitures pour appeler les manifestants à attaquer les OMON. Verzilov fut arrêté par les manifestants eux-mêmes et remis aux policiers, mais les policiers – attention ! – ont refusé de le garder, car derrière lui marchaient des « gens en civil » qui leur ont interdit de la faire.

Troisièmement, j’ai déjà beaucoup appris en me confrontant à l’intelligentsia libérale russe durant ces dernières années d’opposition. Mais voilà, insulter et agresser les Orthodoxes de toutes les façons possibles et sans raison valable, c’est, pour parler avec retenue, porter atteinte à l’image non pas des croyants, mais à l’intelligentsia libérale elle-même. Et Madonna n’est ici d’aucune aide.

Quatrièmement, pour en revenir à mes premières réflexions, l’Eglise orthodoxe connaît effectivement un certain nombre de problèmes. Sa direction vit dans un luxe inacceptable et est devenue une excroissance de la bureaucratie d’État. Il y a certaines interventions sur la liberté de conscience, le droit des croyants et les représentants d’autres confessions, nous l’avons évoqué plus haut. Ajoutons aussi que le caractère même de la croyance chez les Russes qui se réclament de l’Orthodoxie, laisse souvent un sentiment étrange. Beaucoup d’entre eux ne vont même pas à l’église, n’ont pas lu la bible ou ne connaissent pas le nom des douze apôtres.

Et alors ? Que pouvons-nous attendre d’autre après des décennies d’expérimentations communistes, dans les universités, on enseignait « l’athéisme scientifique » ? Que les croyants m’excusent mais voilà ce que la religion orthodoxe est devenue chez nous : « l’Orthodoxie-light ».

Par bien des aspects, ce n’est pas plus mal. Cela veut dire qu’après des décennies d’un athéisme artificiel imposé d’en haut, les gens cherchent leur foi par eux-mêmes, sans contraintes extérieures. C’est un processus vivant. Et c’est très bien qu’il soit comme cela. Les gens ont la possibilité de regarder le monde environnant avec leurs propres yeux, et non pas à travers un manuel d’athéisme, d’Orthodoxie ou de n’importe quel autre religion. C’est un très bon moyen pour converser, discuter, exposer ses idées et ses points de vue.

Après des années à faire face à la masse des électeurs russes, j’ai acquis une forte perception selon laquelle la foi orthodoxe n’est pas un ennemi ou un obstacle sur la voie de l'européanisation et de la démocratisation de la Russie. La foi ne gêne aucunement ces processus. Au sein des partisans convaincus de la démocratie, y compris de notre parti « Elections démocratiques », il y a beaucoup d’Orthodoxes.

Le rapport à la religion est l’affaire privée de chaque citoyen. Faisons en sorte d’œuvrer à la réconciliation et cessons les attaques des uns contre les autres. Soit dit en passant, cela s'applique aussi aux orthodoxes qui appellent à punir et presque exécuter les Pussy Riot - cette hystérie n'est pas différente de son équivalent anti-clérical.


Mais il y aura toujours de l’obscurantisme, et ce qui me préoccupe avant tout c’est la conduite de cette frange de la société que j'ai toujours regardé avec espoir - les laïques, des gens instruits, des intellectuels. Chers collègues, cessez vos hystéries anti-orthodoxes. Ne vous faites pas d’ennemis. C'est notre pays, notre société, notre peuple. Respectons-nous les uns les autres. Restez en-dehors de la religion.

Vladimir Milov – politicien russe, leader du parti d’opposition « Demokratitcheskii vybor ».

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies