Seuls 25% pensaient que le procès était le résultat d’une vengeance personnelle de l’Église orthodoxe russe et du Kremlin. Crédit photo : PhotoXPress
« Je n’y pense pas », dit-il à propos de l’affaire des Pussy Riot. « J’essaye de rendre service, un point c’est tout. On en fait trop de toute façon ».
Durant ces quatre dernières années, sa paroisse, située près d’une rivière et surplombant une immense prairie, subit des travaux de rénovation assez pénibles. Construite en 1841, elle a, comme beaucoup d’autres églises rurales, été presque entièrement détruite durant les premières décennies de l’ère soviétique : il n’y avait plus qu’un champ de ruines près duquel avait été placé un troupeau de chèvres. Les travaux étaient en cours pendant que le Père Boris parlait et un ouvrier barbu soudait derrière lui.
« Que pouvons-nous faire lorsque la politique s’en mêle ? Rien. Notre domaine à nous, c’est la foi », dit-il en souriant.
Son attitude résignée aurait paru inhabituelle parmi la classe moyenne ayant un esprit de contestation, mais ici, à l’extérieur de Moscou, ce genre d’opinions est courant. Loin de diviser la société, ce dont beaucoup dans l’opposition avaient peur, l’affaire des Pussy Riot n’intéresse tout simplement pas la majorité des Russes moyens, en tous cas pas autant qu’on pourrait le croire à l’étranger. Et ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas l’esprit civique. Ils ont juste d’autres problèmes à gérer.
« Ce qu’elles ont fait est scandaleux, et elles doivent être punies », dit Elena, professeur de musique qui travaille bénévolement pour la chorale de l’église pendant les week-ends. « La sentence est peut-être sévère, mais c’était l’appréciation du juge. La décision est politique ? C’est à d’autres d’en juger. Je ne suis pas dans le secret des dieux », ajoute-t-elle.
Quatre femmes portant des cagoules de toutes les couleurs et interprétant en playback une chanson punk visant le président Vladimir Poutine avec des paroles incluant « Sacrée m… » dans une église, et tout cela pour en publier le résultat sur Youtube : en Occident, ces cabrioles ont été en grande partie vues comme un signe de révolte politique et féministe. Portée par une classe moyenne russe ayant un esprit plus critique, l’affaire a suscité un écho sans précédent à l’étranger et a été présentée comme un tournant dans le développement politique du pays.
Mais en y voyant de plus près, on se rend compte que le problème reste confiné à une classe moyenne assez réduite.
Selon une étude publiée par le centre Levada le 17 août, jour du verdict, quelques 44% des sondés jugeaient le procès des Pussy Riot « juste, objectif et impartial ». Seuls 25% pensaient que le procès était le résultat d’une vengeance personnelle de l’Église orthodoxe russe et du Kremlin, alors que 41% ont déclaré que le procès reflétait le fait que de nombreux chrétiens se sont sentis offensés par la performance des Pussy Riot.
« Oui, il existe des réactions fortes. Mais je n’irais pas jusqu’à dire que toute la société a réagi de cette manière », a déclaré Lev Goudkov, directeur de l’institut de sondage Levada, à Gazeta.ru. « En effet, seulement de 15 à 18% des gens s’intéressent vraiment à cette affaire ».
Les Russes essayent de tirer des conclusions de cette affaire (comme sur la relation entre l’Église et l’État et leur proximité), mais chacun le fait à sa manière.
« Le procès a mis en évidence des problèmes existant un peu partout », déclare Andreï Zolotov, journaliste basé à Moscou et spécialisé dans les affaires religieuses. « Dans la région de Voronej par exemple, les habitants ne se préoccupent pas des Pussy Riot autant qu’ils se soucient des projets de développement d’une mine de nickel dans la zone. Le mouvement de protestation a mobilisé à peu près autant de personnes que pendant les manifestations à Moscou lors des élections parlementaires et présidentielles.. De plus, plusieurs habitants de la région s’inquiètent du rôle de l’Église, un peu comme dans l’affaire des Pussy Riot. Est-elle du côté de la population ou des autorités ? Cette question a commencé à se poser dans de nombreux conflits entre la société et les autorités ».
Si la société est divisée, ce n’est pas tellement pour savoir si les membres des Pussy Riot doivent aller en prison ou pas, mais sur des points plus généraux qui ont surgi bien avant cette affaire.
Artiom Toropov, un avocat moscovite qui a assisté à la vague de manifestations de cette année, a exprimé une vision modérée du Kremlin et de ses agissements, mais s’est dit préoccupé par les différences d’opinions entre lui et une grande partie de la population. « Je suis effrayé par la réaction des Russes et par le fait qu’entre 40% et 60% d’entre eux trouvent que le procès a été équitable », a-t-il ainsi expliqué. « Si les Occidentaux tenaient compte de la façon dont une grande partie de la population réagissait, ils verraient que nous sommes de retour à une division qui existait déjà dans la Russie du 19ème siècle : la noblesse éclairée d’un côté, et la majorité de la population qui ne la soutenait pas de l’autre ».
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