Grande cuisine et politique

François Hollande serre la main au chef du Kremlin Vakhtang Abouchidi. Crédit photo : AFP / Eastnews

François Hollande serre la main au chef du Kremlin Vakhtang Abouchidi. Crédit photo : AFP / Eastnews

Le G20 gastronomique organise son sommet une fois par an. Mais de quoi les cuisiniers des rois et présidents discutent-ils lorsqu’ils se rencontrent ?

« J’aime le mot cuistot », indique Vakhtang Abouchidi. « Je suis moi-même cuistot. Qui d’autre ? ». Le terme « chef » lui va mieux selon moi. Chef du Kremlin! Jeune, beau cuisinier principal du Kremlin. À 26 ans, Vakhtang est le benjamin du G20 des cuisiniers qui s’est réuni la semaine dernière à Berlin et ensuite à Paris.

Il s’agit des cuisiniers des familles royales et présidentielles et ils ont récemment été reçus par Angela Merkel et François Hollande, rien que ça ! Le président du « Club des Chefs des Chefs » Gilles Bragard insiste sur le fait que ces maîtres sont de véritables ambassadeurs et représentants de leurs pays. Bragard lui-même n’est pas cuisinier mais couturier. Il y a 35 ans, il a cependant décidé de trouver une formule afin de rassembler les cuisiniers « présidentiels ». Il voulait ainsi qu’on reconnaisse leur travail. En effet, il n’est pas simple de s’adapter à chaque président et à ses goûts.

Le Français Bernard Vaussion est le plus expérimenté de tous : il vient de fêter ses 40 ans de carrière au palais de l’Élysée et François Hollande est déjà le 6ème président pour lequel il travaille. Mais pour Vaussion, il faut tout recommencer à zéro à chaque fois : rencontrer le président, discuter de ses allergies et de ses goûts, mettre en place un menu, etc. Sans oublier la première dame qui a également son mot à dire.

Je demande également à Vakhtang comment il s’adapte au nouveau président. « J’ai déjà travaillé avec lui », répond-il. En Russie, j’ai l’impression que c’est tout le contraire : les cuisiniers partent et les présidents reviennent. J’essaye alors de savoir auprès de Vakhtang si les habitudes en matière de goûts ont changé au Kremlin. Mais il ne souhaite pas dévoiler les secrets et se contente de dire que Poutine est plus attiré par la cuisine russe, alors que Medvedev préfère les plats européens. « Mais lors des réceptions internationales, nous essayons de servir des plats russes avec une touche européenne », ajoute-t-il. « Nous présentons par exemple le bortsch comme un velouté de betterave ».

Lors de la conférence de presse, un autre point concernant la cuisine du Kremlin a été soulevé. En effet, tout le monde voulait savoir s’il existait encore des goûteurs pour empêcher les empoisonnements ou la présence de métaux lourds dans les assiettes. « C’est nous les premiers goûteurs », plaisantent les chefs. Mais Bragard explique qu’il n’existe pas de tel poste au Kremlin. « J’ai moi-même pu observer la façon dont le président Medvedev recevait ses invités l’année passée », ajoute-t-il. « Un médecin accompagne le cuisinier lors de chaque étape des préparations afin de garantir la sécurité ».

Les cuisiniers doivent connaître à l’avance les habitudes et coutumes des autres chefs d’État. C’est pourquoi ils se rencontrent une fois par an et s’appellent avant toute visite officielle. « Le plus important n’est pas de savoir ce que les invités aiment, mais de se renseigner sur ce qu’ils ne supportent pas », explique Bernard Vaussion. « C’est à table que se prennent les décisions importantes ou qu’ont lieu les négociations difficiles. Nous devons donc apporter un peu de légèreté en leur préparant de bons mets ». Et il ne faut pas aller bien loin pour trouver un exemple : la veille, lors d’une rencontre avec le président français, Angela Merkel a remercié les chefs en leur disant que « grâce à eux, la rencontre avait été productive ».

Les patrons ont visité « le ventre de Paris », le marché de vente en gros de Rungis. Crédit photo : AFP / Eastnews

Même si les coqs s’échangent des informations sur les plats que préfèrent leurs présidents, ils n’aiment pas trop révéler leurs secrets en dehors des palais. Est-ce par mesure de sécurité ? « Il ne s’agit pas de sécurité », répond Vaussion. « À l’époque, un journal français a écrit que Jacques Chirac aimait la tête de veau. Depuis, on lui sert de la tête de veau à chaque visite ».

Nous savons toutefois que Sarkozy raffolait de chocolat, que Bush détestait le brocoli, et que François Hollande hait les artichauts. « Mais nous les servirons quand même », affirme tout de suite le cuisinier de l’Élysée. « Peut-être que les autres invités adorent cela ! ». C’est ça la démocratie : le président n’est pas un monarque mais un élu. Il ne faut pas non plus oublier la famille du président. Sa femme, ses enfants et ses proches ont aussi leurs préférences. Je demande alors à Vakhtang Aboudouchi ce que mangent les femmes et enfants de nos présidents. Hélas, le coq du Kremlin ne participe pas aux déjeuners, dîners ou soupers privés, mais seulement aux banquets et réceptions. Il accompagne cependant Poutine lors de ses voyages à travers la Russie.

Comment devient-on chef ? Certains, comme Vakhtang, grandissent sur leur lieu de travail : il est arrivé au Kremlin à l’âge de 20 ans et a travaillé comme sous-chef sous la direction du Français Jérôme Rigaud. D’autres, comme le Canadien Vassilko, ont été invités un beau jour au palais. Néanmoins, tous doivent évidemment passer des tests de résistance psychologique. Arriver au « pouvoir » est difficile, mais en sortir l’est-il autant ? Je demande à Vakhtang s’il veut, comme Vaussion, rester au service du président pendant 40 ans ? « Sûrement pas », répond-il. « Je préfère ouvrir mon propre petit commerce. Je reprendrai probablement mes études : je souhaite en apprendre davantage sur l’agriculture. Je pourrai ainsi préparer mes plats à partir de mes propres matières premières. Au Kremlin, nous ne disposons pas de nos propres produits et jardins comme à Monaco par exemple. J’aimerais bien ouvrir une brasserie… ».

Cet article est un résumé. La version originale est disponible en russe sur le site Kommersant.ru.  

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