Le paradoxe de la jeunesse

Mikhael Subotzky, Die Vier Hoeke. Source : service de presse

Mikhael Subotzky, Die Vier Hoeke. Source : service de presse

La « 3ème biennale internationale moscovite de l’art contemporain juvénile » ouvre ses portes jusqu’au 7 août avec une grande interrogation : mon expérience du réel est-elle « vraie ou fausse » ?

C’est une tâche difficile, voire absurde, que de réunir sous un thème unique des centaines d’artistes venant d’horizons culturels et géographiques différents. C’est la tâche qui incombe à chaque commissaire organisant une biennale. La berlinoise Kathrin Becker y est parvenue, avec un thème vaguement artificiel : « Sous un soleil de pacotille ». Elle a trouvé son inspiration dans une chanson d’un groupe punk féministe. Vous pensez déjà à « Pussy Riot », dont une moitié croupit dans les geôles russes. Vous n’y êtes pas : il s’agit d’un vieux groupe britannique « Poison Girls ». Premier paradoxe.

Faisant visiter l’exposition principale aux journalistes, Kathrin Becker insiste sur l’obsolescence des concepts « d’innovation » et de « post-modernisme ». La nouvelle génération d’artistes représentés ici a grandit avec l’Internet et est davantage préoccupée par « l’oscillation parfois imperceptible du virtuel et du réel ». Vous avez entendu déjà cent fois ces discours conceptuels sur la « construction subjective du réel ». Passons aux œuvres.

La viennoise Judith Fegerl, qui visiblement plaît beaucoup à la commissaire, se tient droite à côté de son installation Héritage de Galatée, une machine à tricoter tissant une corde s’emmêlant imperceptiblement. Un ready-made (nos jeunes artistes ont bien retenu la leçon de Duchamp) à l’image de beaucoup d’autres œuvres présentées dans cette exposition principale. Froid, conceptuel, et finalement ressemblant jusqu’à l’absurde à de « l’art contemporain ».

Installation Héritage de Galatée de Judith Fegerl (Autriche). Photo : Alexandre Ganiouchine

Kathrin Becker a réunit tout ces artistes sous un même thème, soit. Mais à quel prix ? Celui de l’hétérogénéité. Tout ça manque d’espièglerie, de fantaisie, de jeunesse. Ces créateurs ont moins de 35 ans, oui, mais semblent pressés de souligner tout le sérieux et la maturité de leur démarche esthétique. Encore un paradoxe.

La commissaire, qui connaît très bien la scène artistique russe pour avoir longtemps fréquenté l’avant-garde pétersbourgeoise (Nouvelle Académie) admet l’existence d’un gros problème aujourd’hui en Russie. Elle évoque la fermeture des trois plus importantes galeries du pays (Guelman, XL, Aidan), parle de « cléricalisation croissante de la politique à travers l’église orthodoxe », de la destruction de l’exposition « Attention : religion ! » et la répression contre Pussy Riot. Et pourtant, aucun de ces thèmes brûlants n’apparaissent dans les différentes expositions. Troisième paradoxe. Tout est dépolitisé, à part les graffitis de Misha Most, qui recopie sur les murs les articles de la constitution russe les plus souvent bafoués par le pouvoir. Pertinent, intéressant, mais pas franchement osé ! Les thèmes tabous ont été, eux, soigneusement écartés. La provocation n’est-elle plus à la mode ? Dans ce cas, la jeunesse est également passée de mode. Et un paradoxe de plus.

Installation d'Alexandra Leykauf (Allemagne). Photo : Alexandre Ganiouchine

Ils sont bien trop sages et polis pour être vrais, ces jeunes artistes, se dit-on en quittant l’exposition principale. Heureusement, la seconde exposition, intitulée « stratégique », réserve davantage de surprises. La première est pour nous, journalistes : l’importance accordée par les artistes à la presse, le plus souvent pour en critiquer la dimension propagandiste (Naprushkina, Ting Ting Cheng, Fuller, Wong Wing-Fat, Parchikov, Baskakova, etc). Autre œuvres marquants : l’annihilation d’une voiture par un passager invisible (vidéo de Silokunnas) ; les drapeaux médicamenteux (collage de Rafalowicz) ; les caddies acrobatiques (installation de Chang) ou les cimetières contemporains (vidéo de Bosnjak) réveillent des émotions chez le visiteur, voir même une réflexion. Elena Selina, commissaire de cette exposition, a su davantage sacrifier à l’hétérogénéité de la jeunesse.

Tout aussi paradoxale qu’elle soit, cette 3ème biennale internationale moscovite de l’art contemporain juvénile a curieusement prit soin de ne pas évoquer le paradoxe russe. Comme chacun le sait, la Russie possède plusieurs visages. L’un d’entre eux sourit à l’art contemporain, à travers l’organisation de grandes manifestations comme cette biennale. L’autre lui ouvre ses cachots. Trois filles du collectif Pussy Riot sont en prison préventive depuis plus de quatre mois pour avoir organisé une performance dans une cathédrale. La biennale aurait pu faire une grimace.

Site officiel de la biennale : http://www.youngart.ru/

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