« Je suis sur le toit, et j'ai déjà les jambes dans l'eau »

Crédit photo : AFP/EastNews

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Crédit photos : Mikhaïl Mordassov, RIA Novosti

Ce lundi a été décrété journée de deuil dans la région de Kouban, suite à une inondation sans précédent, qui s’est abattue sur le sud-ouest de la région. En quelques heures, plus de 300 mm d’eau sont tombés, c’est-à-dire la moitié de la norme annuelle des précipitations.

D’abord la ville balnéaire de Guelendjik, puis le port de Novorossiïsk et la ville de Krymsk, se sont retrouvés immergés, avec tous les villages et les stations environnants. Selon les premières estimations, les dommages se chiffrent déjà à plus d’un milliard de roubles (25 millions d’euros).

Le nombre de victimes ne cesse de croître. Au moment de la rédaction de cet article, les chercheurs déclaraient 155 morts pour la seule ville de Krymsk, tout en précisant que les chiffres ne sont que provisoires. Les habitants parlent de centaines de morts et racontent que des vieillards sont encore ensevelis dans les décombres des maisons.

Le chef du Comité d’enquête russe, Alexandre Bastrykine, préside une délégation qui s’est rendue sur les lieux. Dans la nuit de samedi à dimanche, Bastrykine a organisé une réunion à Krymsk dans le but d’analyser le plus méticuleusement possible les circonstances du drame.

Le principal objectif est d’évaluer les actions des autorités pendant la catastrophe naturelle, c’est-à-dire établir qui et à quel endroit n’a pas su en minimiser les conséquences.

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Infographie d'Anton Panine

Le chef du district de Krymsk, Vassili Kroutko, raconte avoir reçu les premières données sur la menace d’inondation vendredi 6 juin vers 22 heures, suivies de près par une dépêche téléphonée officielle des Services de situation d’urgence.  « Dès 23h, une ligne courante est apparue sur la chaîne de télévision locale », assure-t-il. « Les gens ont été prévenus qu’ils devaient rassembler leurs papiers et se tenir prêts à quitter leurs logements. Nos employés sont partis faire le tour des cours pour réveiller les gens ». Même une sirène d’alerte a été déclenchée, assure le fonctionnaire. Mais ceux qui ont vécu la tragédie soutiennent qu’ils n’ont pas été prévenus et s’ils ont réussi à se sauver, ce n’est que grâce à l’aide des voisins.

C’est ce qu’a raconté notamment Marina Efechkina, résidant au 200 de la rue Adagoumskaïa, que nous avons eu au téléphone vers cinq heures du matin, samedi dernier. Elle est la nièce de mon amie, qui m’a réveillée au milieu de la nuit avec un coup de fil inquiet. « Krymsk est en train de se noyer, hurlait Lioussia au téléphone. La porte de Marina était bloquée par l’eau, elle ne pouvait pas sortir avec sa fille. Mais les voisins sont arrivés, ont débloqué la porte. Maintenant elles se sont réfugiées dans le grenier d’une maison de deux étages, tandis que leur maison a été immergée jusqu’au toit. Presque 20 personnes sont dans ce grenier, dont la moitié sont des enfants, et personne n’est là pour les secourir, alors que l’eau continue à monter ».

Mon amie m’a dit qu’elle avait essayé en vain de joindre les secours, pour indiquer l’adresse de sa nièce.

Nina Stepanenko, 24 rue Pereïaslovskaïa, a passé la nuit à faire le tour des voisins pour les réveiller, mais quand elle est rentrée chez elle pour récupérer ses papiers, elle ne pouvait plus ressortir. « Je suis assise sur mon toit, let j'ai déjà les jambes dans l'eau, m’a-t-elle confirmé au téléphone. Je tiens le combiné d’une main, dans une obscurité totale. Transmettez, pour l’amour de Dieu, qu’on ne m’oublie pas ici ».

Alors j’ai composé le numéro du responsable régional du ministère des Situations d’urgences, Alexandre Kazlikine, et lui ai communiqué les deux adresses. « Là-bas toute la rue est sous l’eau, a dit le général, 15 bateaux viennent de Slaviansk-na-Koubani, nous allons évacuer les gens ».

Les secours sont arrivés au bout d’une demi-journée environ, quand le niveau de l’eau a permis aux engins de se déplacer. Des sauveteurs ont paru, ils ont pris les enfants dans leurs bras, les adultes rejoignaient les bateaux eux-mêmes, dans l’eau jusqu’à la poitrine. « Nous nagions dans la rue de l’Union soviétique, comme dans un fleuve, a raconté Marina. Je voyais avec horreur des cabanes pliées en accordéon, des arbres déracinés et des clôtures arrachées. Sur le bord d’une route j’ai vu le corps d’une vieille femme et j’ai reconnu notre voisine ».

Les sinistrés ont été recueillis à travers toute la ville et transportés dans un bâtiment situé à proximité de l’administration du centre culturelle « Rouss ». Là les gens ont pu manger, s’habiller et il leur a été proposé de s’installer dans des centres d’évacuation, installés dans des écoles et des maternelles. Beaucoup d’entre eux sont partis chez des parents ou des connaissances, comme l’ont fait Marina et la petite Iana.

Arrivées dimanche à Krymsk Avec Lioussia, nous sommes sorties dans la rue Adagoumskaïa. Sa maison présentait un terrible spectacle : portes d’entrées arrachées, meubles détruits, le réfrigérateur et la télévision à terre, les vitres des fenêtres brisées, les murs noircis jusqu’au plafond. Tout le contenu du hangar avait été emporté dans la cour. L’eau était partie, mais il restait de la vase et des montagnes d’ordures.

 « J’ai grandi dans cette maison, raconte Lioussia. Je me souviens comment mon père l’a construite. Près de nous, coulait une petite rivière qui se jetait dans le fleuve Adagoumka. Selon les anciens, grâce à elle nous n’avons jamais été inondés. Mais plus tard, à la place de la rivière, on a construit un parking et un marché. Deux fois déjà la maison a été inondée, mais jamais l’eau n’était montée à ce niveau. »

On dit que cette nuit-là, à Krymsk, l’eau est montée jusqu’à sept mètres. La ville a été inondée vers 2h du matin. L’eau est venue d’un coup, en balayant littéralement tout sur son passage. Nous avons vu renversés sur le bord de la route non seulement des voitures, mais aussi des camions. Des maisons sont ouvertes, beaucoup sans propriétaires. La police patrouille 24h/24, mais durant cette tragique nuit, toutes les services de police ont été affectés aux opérations de sauvetage. Le chef de l'une des unités, Viatcheslav Gorbounov, a fait sortir deux enfants de maisons inondées de la rue de l’Union soviétique, puis est revenu pour sauver les adultes, mais il a lui-même été emporté par une vague ... Aujourd'hui, ses collègues regrettent leur  camarade disparu.

Les équipes d'urgence ont continué à arriver à Krymsk des différentes régions de Russie, ainsi que les unités militaires stationnées à proximité. Presque toute la journée ils ont sauvé des gens, et maintenant ils recherchent les corps et déblaient les décombres. Selon le chef du service de sauvetage de sud de la Russie, Andreï Pazynitch, ils sont arrivés à Krymsk samedi à quatre heures du matin. « Nous avons recherché les survivants, maintenant nous cherchons les morts, » a-t-il dit.

Le parquet reçoit les demandes des parents de disparus. Certains s’y adressent pour retrouver des personnes âgées isolées, et demander de vérifier si elles ont survécu. Des files d’attentes se forment aux points de distribution de l'aide humanitaire.

Depuis ce matin, les travaux de réparation à grande échelle ont commencés à Krymsk. Dimanche, les membres des commissions mises en place pour évaluer les dommages suite à la catastrophe ont commencé à parcourir toutes les maisons des zones touchées de Krymsk.

Il y a dix ans, également en été, débordant des berges de fleuve, l’eau a inondé d’abord le nord du kraï de Krasnodar, Armavir, Goulkevitchi, Kropotkine, Ouspenski et d'autres zones, puis, comme aujourd'hui, le sud-ouest. Des dizaines de personnes ont alors été tuées près de Novorossiïsk, quelques-unes dans l'inondation à Krymsk, mais aujourd’hui les effets de la catastrophe sont bien pires. Quelle est la raison ?

Immédiatement après la tragédie, des messages sont apparus dans la blogosphère, selon lesquels Krymsk a été inondée à cause d’une fuite dans un réservoir voisin, mais les autorités régionales ont catégoriquement nié cette version. Cependant le chef adjoint de la direction régionale du Comité d’enquête de la Fédération de Russie, Ivan Senguerov, a déclaré que les vannes ont libéré, de façon automatique, l’eau excédentaire.

Les spécialistes diront si cela a eu un impact sur l'échelle de l'inondation qui a frappé la ville.

Article original (en russe) sur le site de Rossiyskaya Gazeta

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