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Le vice-ministre russe des Affaire étrangères Sergueï Riabkov a récemment déclaré que la réponse de Moscou serait ferme et « très dure » si Washington adoptait la « loi Magnitsky », ce qui pourrait entraîner une rapide détérioration des relations entre les deux États.
Iouri Ouchakov, conseiller de Vladimir Poutine, a également jugé le projet de loi « inacceptable ». Le 17 juin, il a affirmé que la Russie riposterait immédiatement si le Congrès américain adoptait le texte. « Si la loi n’est pas votée, nous ne prendrons pas de mesures de représailles et nos relations s’amélioreront », a-t-il ajouté, invitant ainsi les législateurs américains à réfléchir à deux fois avant de se prononcer.
Certains experts sont plus mesurés que les membres du gouvernement et estiment que même si le « projet de loi Magnitsky » était adopté, il ne devrait pas influencer sérieusement les relations entre Russes et Américains.
« Cela affectera nos relations, mais les dommages ne seront pas catastrophiques car la Russie et les États-Unis sont désormais d’accord sur beaucoup d’autres points », explique Sergueï Markov, recteur à l’Université d’économie Plekhanov et membre de la Chambre publique de Russie.
Le spécialiste souligne que les deux pays collaborent dans un nombre important de domaines, comme la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue, et poursuivront cette coopération quoi qu’il arrive. « Mais nous devons aussi renforcer nos relations économiques », ajoute l’analyste.
Markov pense que Barack Obama et Vladimir Poutine peuvent développer de bonnes relations personnelles. « Poutine a pu constater qu’Obama était un homme de parole, qualité qu’il apprécie plus que tout », explique l’analyste. « Et Obama, de son côté, respecte les qualités de leadership du dirigeant russe ».
Maxime Grigoriev, président de la Fondation pour l’étude des problèmes démocratiques, pense également que les relations entre la Russie et les États-Unis s’amélioreront assez rapidement, surtout si Obama est élu pour un second mandat. Grigoriev pense que la discussion autour de la « loi Magnitsky » est avant tout une question de communication politique. « Il est important pour Obama de se présenter comme un homme fort sur la scène internationale et de neutraliser les attaques du parti républicain, qui lui reproche de ne pas être assez dur envers la Russie. Pour les républicains, il faut montrer que le pays combat le totalitarisme en Russie », commente Grigoriev. « C’est une stratégie de communication pour les républicains, mais aussi pour Obama ».
Les deux experts estiment que la colère de la Russie envers la « loi Magnitsky » est légitime.
« Je pense tout d’abord qu’il s’agit d’une tentative de porter atteinte à notre souveraineté. Qui plus est, la présomption d’innocence n’est pas respectée », explique Markov. Quant à Grigoriev, il juge que ce projet vise « à influencer la situation politique en Russie, et il est normal que la Russie, en tant qu’État souverain, perçoive cela comme une manœuvre antirusse ». Selon eux, la Russie se verra obligée de présenter sa propre liste noire en réponse. « La Russie proposera des initiatives similaires »,explique Grigoriev.
Markov pense que cette liste noire russe touchera principalement les personnes qui ont soutenu le projet américain. « Les personnes directement impliquées dans l’élaboration de la “liste Magnitsky” se verront restreindre leur accès en Russie. Ils voulaient donner des leçons à la Russie ? Eh bien, ils n’auront plus cette opportunité », indique Markov.
Le projet de « loi Magnitsky » à la place de l’amendement Jackson-Vanik
À la mi-mars, un groupe de sénateurs américains influents a proposé une liste noire des fonctionnaires russes prétendument liés à la mort de Sergueï Magnitsky, avocat d’Hermitage Capital, dans un centre de détention provisoire à Moscou. Ce projet de législation, appelé « loi Magnitsky », imposerait des restrictions en matière de déplacements et de transactions financières à plusieurs dizaines de fonctionnaires russes suspectés d’être impliqués dans la mort de cet avocat anti-corruption en novembre 2009.
Cette idée intervient alors que le Congrès américain se trouve face à un choix difficile concernant l’amendement Jackson-Vanik, qui restreint le commerce entre les États-Unis et la Russie depuis 1974. Même si plusieurs sénateurs continuent de soutenir cet amendement, la règle désavantagera les entreprises américaines une fois que la Russie sera membre de l’OMC, probablement au cours de cette année. La « loi Magnitsky » vise donc à remplacer Jackson-Vanik et devrait être approuvée dès le début du mois d’août.
Autres opinions :
Gregory Feifer, ancien correspondant pour Radio Svoboda, écrivain et spécialiste des relations américano-russes :
« L’adoption de ce projet de loi dégradera probablement les relations entre Washington et Moscou à l’avenir, mais ce ne sera sans doute que temporaire. Le Kremlin fait tout ce qu’il peut pour convaincre le gouvernement américain de l’abandonner, notamment avec des menaces de représailles. Ce conflit ne devrait cependant pas durer.
Les menaces de Moscou sont une pratique normale en politique internationale. Il s’agit d’un retour à l’époque soviétique, motivé par la croyance que pour se faire respecter, il faut être craint par les autres. Mais ces menaces sont vouées à l’échec. La Maison blanche se met en quatre pour modérer le projet de loi, tout en souhaitant tout de même prendre une mesure symbolique concernant ce crime horrible qui symbolise la corruption et le contrôle politique sur le système juridique en Russie.
La politique de “remise à plat” de Washington paraît inchangée. Je pense que la Maison blanche désire renforcer sa coopération avec la Russie si cette dernière est disposée à faire des efforts. Mais le président Poutine semble avoir opté pour une politique d’obstruction et de rhétorique anti-occidentale, en partie provoquée par les récents mouvements de contestation à son encontre. Cette ligne pourrait néanmoins encore changer… ».
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