Anatoli Zverev, premier peintre expressionniste soviétique

Crédit photo : Рolina Lobachevskaya Gallery

Crédit photo : Рolina Lobachevskaya Gallery

Les compositions suprématistes et les portraits à l'aquarelles du peintre avant-gardiste Anatoli Zverev lui ont valu le surnom, donné par Pablo Picasso, de « peintre-génie du XXème siècle ». Peu connu dans son pays, Anatoli Zverev a en revanche eu un grand écho en Occident. Quant à son comportement en société, il rivalise de provocations avec le grand Salvador Dali. Jusque fin juin, la galerie du Petit Manège à Moscou vous invite à faire connaissance avec cette figure notoire de la peinture soviétique et du non-conformisme.

Anatoli Zverev est né en 1931. Il a survécu à la deuxième Guerre Mondiale et s'est éteint à l'âge de 55 ans, en laissant derrière lui plus de 30 000 oeuvres. Suite à l'incendie de la maison de campagne du collectionneur grec Georges Costakis en 1976, on a longtemps cru qu'une grande partie des oeuvres d'Anatoli Zverev étaient partis en fumée. Georges Costakis, plein de désespoir, se serait effondré au téléphone :

 

- Tolia (diminutif russe d'Anatoli, Ndlr), tout a brûlé!

- Mais il n'y a pas de blessé?, aurait demandé Anatoli Zverev.

- Non.

- Tant mieux. Pour les tableaux, j'en dessinerai de nouveaux.

 

Éternel vagabond, révolté et querelleur, Anatoli Zverev ne supportait pas l'immobilité et le « bien pensant », que ce soit dans le monde de l'art comme dans la vie. Il est exclu de l'École d'Art de Moscou pour « apparence indécente » et réformé de l'armée pour « schizophrénie ». Le « génie vagabond » vit de ses provocations lancées aux « petits bourgeois » et aux « bien-pensants ». Au milieu des années 70, sous Brejnev, avec son allure de partisan « sorti d’un bois », un manteau miteux sur les épaules, Anatoli Zverev réussi à sauter dans le wagon d'une station de métro moscovite et se met à hurler : « Et maintenant, il faut choisir : c'est soit Lénine, soit moi ! ». À l'époque, pour une telle diatribe, un simple citoyen de l'URSS risquait non seulement d’être traité d’« élément anti-soviétique », mais pouvait surtout perdre plusieurs années de liberté.

 

Anatoli Zverev incluait dans sa peinture tout ce qui l'entourait, se servait de tout ce qu'il voyait. S'il n'avait pas de peinture à portée de main, il pouvait peindre avec un bout de bois carbonisé, de la confiture, de la betterave. Il avait le coup de pinceau rapide et la main légère. « Qu’il soit armé d'un blaireau, d'un couteau de table, de gouache ou d'aquarelle, il se jetait de la même façon sur sa feuille de papier », se souvient le peintre Dmitri Pavlinski. « Il arrosait d’une eau douteuse le papier, le sol, les chaises, trempait ses pots de gouache dans les flaques, barbouillait le tout avec un chiffon, si ce n’est avec ses chaussures, et au-delà de ce cauchemar de coloris, passait quelques coups de blaireau, deux-trois traits au couteau, et dans ses yeux, c’était un bouquet de lilas parfumé qui surgissait ! », raconte-t-il. Les portraits et graphismes d’Anatoli Zverev méritent une attention particulière. « Personne n’a encore su inventer un appareil photo capable de retracer et de capturer les traits humains avec la rapidité et la précision d’un pinceau », souligne Georges Costakis. Malgré les nombreuses commandes de portraits des diplomates britanniques et des acteurs de cinéma soviétiques, il était toujours fauché. « Je revois son clignement d’oeil sournois et j’entends encore sa voix rauque : ‘ Vieil homme, donnez-moi un rouble ’ », se souvient son collègue et ami Viatcheslav Kalinine.

 

L’excentricité d’Anatoli Zverev rappelle souvent les pitreries provocatrices de Salvador Dali. Mais le peintre avant-gardiste soviétique, contrairement à la maîtrise du surréaliste espagnol, sort du cadre normatif généralement admis par la grandeur de son âme errante, et ne cherche en aucun cas la gloire. Anatoli Zverev voyait en ses maîtres non pas Dali ou Picasso, mais Van Gogh, Vroubel et Léonard de Vinci : « Des artistes que l’inutilité de leur art de lasse pas ».

 

Les travaux d’Anatoli Zverev, qui ne s’inscrivent dans aucun des formats existants ou reconnus, sa volonté de bousculer les archétypes, lui ont apporté la célébrité à l’Ouest. Sa première exposition a eu lieu à l’étranger, en 1965, à la galerie parisienne « Mot ». En URSS, rien ne semblait presser. Anatoli Zverev a dû se contenter en Russie d’expositions domestiques. Ce n’est qu’après la mort de l’artiste, en 1986, que le public russe a enfin pu découvrir quelques-unes de ses 300 meilleures oeuvres, lors d’un affichage public à la Galerie Tétriakov de Moscou

 

Exposition « Zverev en feu »

Jusqu’à la fin du mois, à la galerie du Petit Manège à Moscou, l’exposition « Zverev en feu » vous offre la possibilité de découvrir sous toutes ses coutures, le talent de cet artiste jusqu’alors sous-estimé en Russie.

Une attention particulière est portée aux quelques 200 oeuvres provenant de la collection du mécène grec Georges Costakis, miraculeusement sauvées des flammes de l’incendie de 1976 et longtemps considérées comme perdues. Les traces de l’incendie qui ont écorné les tableaux leur confère désormais un charme tout particulier. En résistant à la force de la nature, les peintures d’Anatoli Zverev semblent avoir absorbées l’âme rebelle de l’artiste.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies