Pendant le mois de juin, le festival des Nuits Blanches provoque une effervescence sans précédent dans une ville déprimée par la crise. Source : service de presse
La vaste esplanade qui grouille de monde de 11 à 23 heures au cœur de la ville a transformé Perm en « cité festivalière ». Scènes de concert, salles d’exposition, cinéma, ateliers d’artistes et d’artisans, espaces de performances font vibrer un public qui n’a jamais eu accès à une offre culturelle aussi diversifiée dans une agglomération où le déclin de l’industrie de l’armement a laissé un grand vide. « Je suis venue par curiosité et parce que c’est gratuit », sourit béatement Julia, une étudiante de 21 ans accompagnée de deux amies.
Ce qu’elle retient de sa visite ? « J’ai vu des acrobates mexicains, appris à modeler des figurines de glaise, écouté plein de concerts, vu des sculptures bizarres… Je suis ici depuis au moins... enfin je ne m’en lasse pas ». Au sein de la foule dense autour des pavillons en bois, arpentant les pelouses et admirant les sculptures, on observe une majorité de jeunes, mais aussi des familles entières et même des retraités.
Irina, 65 ans, a atterri par mégarde dans la grande salle d’exposition alors qu’elle cherchait la sortie. Depuis, elle revient fréquemment en ramenant ses camarades avec elle. « Quand j’ai aperçu ces collages d’outils d’autrefois [« Divers squelettes » d’Alexandre et Olga Florenskykh], j’étais horrifiée. Mais on m’a expliqué qu’il s’agissait d’une manière de revaloriser le patrimoine. Depuis, je m’amuse à jouer au guide pour épater mes amies ! », plaisante-t-elle.
« Nous présentons des œuvres accessibles au grand public », explique Vladimir Gurfinkiel, directeur artistique du festival. « Il est primordial que la perception des œuvres d’art soit d’ordre émotionnel plutôt qu’analytique. Le spectateur arrive avec sa curiosité, et repart avec une plus grande liberté intérieure ».
Les musiciens viennent de toute l’Europe et même du Mexique pour participer au festival. Source : service de presse
La programmation des arts de scène comporte une forte composante internationale, avec des troupes de théâtre de rue venues de France (« Les Goulus », « Les Plasticiens volants » et « La Grosse Couture »), et d’Allemagne (« Antagon » et « TheaterAKTion »). Les musiciens viennent de toute l’Europe (Goran Bregovic en tête d’affiche) et même du Mexique. « On nous reproche d’inviter des étrangers aux dépends des artistes locaux », justifie Boris Milgram, ministre régional de la Culture et l’initiateur de la révolution culturelle permiake. « Je réponds que notre objectif n’est pas de satisfaire les politiques ou les artistes, mais le public. Nous apportons un accès gratuit à la scène culturelle internationale. Nous leur transmettons ses valeurs. Nous éduquons le public avec des spectacles de qualité ».
Au-delà du festival, l’irrigation culturelle du territoire ouralien a des objectifs à long terme. Perm souffre de la désindustrialisation : la ville, grand centre de l’armement pendant la Guerre froide, a perdu 150 000 habitants partis chercher du travail ailleurs. Pour Milgram, dont la profession est metteur en scène de théâtre, « nous devons rendre la vie locale intéressante pour retenir les jeunes ».
Perm offre une réponse à l’un des problèmes les plus cruciaux du pays : la concentration extrême de tous les pouvoirs (politique, économique, culturel) dans la capitale. Toutes les forces vives sont attirées dans le centre du pays, tandis que l’immense périphérie russe se vide.
Le galeriste moscovite Marat Guelman, gourou de l’art contemporain russe, a été invité à Perm par Milgram pour dénicher des talents. Il a monté un important musée d’art contemporain (le PERMM) et invité Nikolaï Polissky, le maître du « land art ». Ce dernier a réalisé une immense arche de 12 mètres de haut constituée de troncs d’arbres entremêlés, représentant la première lettre en caractère cyrillique du nom de la ville. L’autre œuvre d’art devenue symbole de la ville est « l’homme rouge », une série de sculptures d’Andreï Lublinsky ornant des places du centre.
À travers cette profonde transformation du paysage urbain, le but de Milgram est de faire entrer la ville dans le club des capitales culturelles européennes, à l’instar de Paris, Berlin ou Istambul. Mais la culture peut-elle remplir le vide laissé par l’industrie ? L’initiative lancée par le trio Milgram-Gurfinkiel-Guelman s’est heurtée à un mur de scepticisme, de conservatisme et d’hostilité franche.
Les uns prétendent apporter de l’oxygène à une culture locale assoupie depuis des décennies, les autres s’indignent des dépenses exorbitantes occasionnées.Un problème qu’ont rencontré en leur temps toutes les capitales culturelles d’Europe, d’Avignon à Édimbourg, de Bilbao à Salzburg. La culture pèse sur le budget local, mais les retombées économiques finissent par amortir les investissements. L’attractivité des villes festivalières va bien au-delà de l’industrie du tourisme. Se hisser à un tel niveau de notoriété prendra à Perm une décennie d’efforts constants. Tout dépendra de la capacité des élites politiques à voir à long terme. Le public local a déjà voté avec ses pieds en quelque sorte. Au bout de 11 jours d’activité, le festival enregistrait déjà un demi-million de visiteurs.
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