Image de Sergueï Elkine
Où est le point de rupture ?
Konstantine Von Eggert, Kommersant
Konstantine Von Eggert est commentateur politique. |
Tout le monde se pose la même question : « Combien de victimes syriennes faudra-t-il pour que la « communauté internationale » fasse enfin réellement pression sur Bachar Al-Assad ? ». Dix mille morts ne suffisent apparemment pas. Il s’agit en effet d’une estimation « optimiste » du nombre de victimes de cette effusion de sang jusqu’à aujourd’hui. Et je souhaiterais bien savoir combien il en faudra encore…
Les hommes politiques, diplomates et journalistes se sont fortement réjouis lorsque la Russie et la Chine se sont jointes à la déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant le massacre de Houla. « Moscou s’éloigne de son soutien inconditionnel au régime d’Assad ! », s’exclamaient-ils. Beaucoup d’entre eux ont notamment repris les mots de Sergueï Lavrov, qui déclarait que la fin des violences était plus importante que la destinée de Bachar Al-Assad. En réalité, la situation reste inchangée pour le moment. Les représentants russes, sans se fatiguer à avancer des preuves, continuent à affirmer que « seuls » quelques habitants de Houla sont morts sous les tirs des forces gouvernementales, et que les autres ont été victimes de « terroristes ». Je précise donc ma question : « Quelle est la norme lorsque l’on parle de civils tués par des bombardements de l’armée ? ». Jusqu’à quinze morts c’est bon, mais à partir de seize cela devient trop ?
Moscou se joint à la propagande du régime de Damas en balayant toutes les preuves des habitants de Houla, qui affirment qu’ils ont été victimes des « chabiha », miliciens pro-régime qui mènent des actions d’intimidation envers les opposants d’Assad. Les représentants politiques et propagandistes de la télévision russes relayent les théories selon lesquelles des « terroristes étrangers » mènent des combats à armes égales contre l’armée régulière. « Des fanatiques s’attaquent au pouvoir en Syrie ! », crient-ils. Dans le même temps, cela ne les gêne pas le moindre du monde que Moscou refuse obstinément de reconnaître comme terroristes de vrais mouvements radicaux tels que le Hamas en Palestine ou le Hezbollah au Liban.
Il n’est pas étonnant de voir que l’armée syrienne libre d’opposition comprend des combattants venant de différents horizons, y compris des islamistes. Ces gens s’opposent à l’armée régulière, qui possède des chars, des armes et des forces aériennes. Il est clair que les forces en présence sont inégales et que le gouvernement porte dans ce cas une responsabilité plus importante. On a, à plusieurs reprises, permis à Assad d’arrêter les combats et d’entreprendre des réformes politiques. Et il paraît de plus en plus évident qu’il continuera à n’en faire qu’à sa tête.
Le moment de vérité arrive. Le Kremlin va devoir décider s’il est prêt à soutenir son dernier allié du Proche Orient jusqu’à la fin. Les représentants russes semblent à la fois vouloir garder leurs contrats d’armement et la base navale de Tartous tout en imposant au monde leur compréhension de la souveraineté comme licence d’arbitraire politique à vie.
L’Occident doit répondre à la question que beaucoup se posent, et pas uniquement dans le monde arabe : « En quoi l’arbitraire version Mouammar Kadhafi était-il différent de celui de Bachar Al-Assad ? ». Car on ne sait toujours pas pourquoi la Libye a subi l’ingérence de la coalition internationale et pas la Syrie.
Article déjà publié dans Kommersant
L’Europe s’ennuie sans guerre
Evgueni Chestakov, Rossiyskaya Gazeta
Evgueni Chestakov en chef du Service international de Rossiyskaya Gazeta. |
François Hollande a déclaré : « Il est inadmissible de laisser le régime d’Assad tuer son propre peuple » . En fait, ce sont les Européens eux-mêmes qui risquent de « tuer le peuple syrien ». Le ministre belge de la Défense a déclaré que son pays était prêt à prendre part à une intervention militaire contre Damas, Paris ayant de son côté laissé entendre qu’il pourrait la soutenir. Après la tragédie du village syrien de Houla, la Russie a plusieurs fois demandé l’ouverture d’une enquête indépendante pour identifier les auteurs de ce crime. Toutefois, l’Ouest a tiré ses propres conclusions en se fondant uniquement sur les avis fournis par l’opposition syrienne, qui accuse les autorités du pays d’être responsables du drame. Celui-ci a été utilisé par de nombreux pays européens pour déclarer « personae non gratae » les ambassadeurs syriens, bien que ces derniers n’aient rien commis de contraire à leur statut diplomatique. La nette réticence des adversaires d’Assad en Occident à attendre le résultat de l’enquête sur les événements de Houla, ainsi que leur empressement à expulser les chefs des missions diplomatiques syriennes, suggèrent l’existence d’une collusion. La réponse instantanée et bien huilée de l’Ouest, le tout en connexion avec le soi-disant « Groupe des Amis de la Syrie », qui semblait réduit à néant, en dit long.
Après deux jours de pourparlers à Damas, l’émissaire spécial de l’ONU et
de la Ligue arabe Kofi Annan a une fois de plus exhorté les parties à
mettre fin à la violence. Cependant, ses appels semblent sans effet sur
l’opposition syrienne, constituée d’un ensemble de groupes armés ne
répondant à personne. Ces groupes dépendent de sponsors qui ont intérêt à
perturber le plan de paix Annan. D’ailleurs, à l’Ouest, bon nombre de
personnes appellent à une intervention armée afin de porter au pouvoir
les marionnettes de l’implacable opposition syrienne. Combien de Syriens
mourront dans une telle mission de « paix » ? Aucun des adversaires
d’Assad n’ose le dire à haute voix.
Dans le même temps, l’Occident ne cache pas qu’il aide depuis longtemps
l’Armée syrienne libre. Alors si une telle ingérence dans les affaires
d’un pays tiers n’est pas jugée honteuse en Europe, mais au contraire
utile, la Russie dispose au moins d’un droit moral : celui fournir de
son côté un soutien militaire et technique aux autorités de Damas.
Moscou n’a pas moins intérêt que l’Occident à la fin de la violence en
Syrie. Cependant, les Russes jugent inacceptable d’utiliser dans les
relations internationales une « guillotine » pour traiter un mal de
tête. Le plan de Kofi Annan reste le seul outil soutenu par la
communauté internationale, capable d’éviter un carnage à plus grande
échelle encore, et des conflits religieux en Syrie. La Russie est
d’accord pour affirmer que le président syrien n’a pas le droit de tuer
des civils. Mais ce droit, les militaires de l’OTAN, qui se ruent déjà
dans la bataille, ne le possèdent pas non plus.
Article déjà publié dans Rossiyskaya Gazeta.
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