Crédit : Tatiana Chramtchenko
Il y a seulement quelques années en Russie, il était difficile de parler de bande dessinée : elle était quasiment inexistante dans le pays et loin de constituer un secteur éditorial à part entière.
Bien que la Russie aime se penser comme « le pays qui lit le plus au
monde », le lecteur russe ne conçoit pas vraiment le texte et l’image de
la BD comme formant un tout. Faute de culture spécifique, il se limite à
regarder les images sans lire les textes. En outre, la bande dessinée
est souvent perçue par les Russes comme un divertissement très bas de
gamme. Une perte de temps en quelque sorte. Dépasser ce stéréotype n’est
pas chose facile, pas plus que de populariser le langage spécifique des
bandes dessinées. Un début d'engouement se fait cependant jour dans la
jeune génération pour ce pan de la pop culture.
Depuis 2002, tous les ans à Moscou, se tient le Festival international de bande dessinée KomMissia. Au début, juste un projet de bédéphiles invétérés, qui s’est vite mué en un événement culturel d’envergure et qui s’est doté d’un véritable projet social, Respect. En automne 2009, les fondateurs de Respect, fans de BD ou dessinateurs, ont adressé une demande de subvention à l’Union Européenne et ont décroché une bourse pour la réalisation de leur projet. Parmi les pays participants, outre la Russie, on trouve l’Ukraine, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Belgique et d’autres encore. Leurs histoires en images s’inspirent des problèmes sociaux actuels et leurs travaux voyagent ensuite dans le monde sous la forme d’une exposition itinérante.
Le projet Respect,
comme son nom l’indique, est basé sur le thème du respect et de la
compréhension mutuelle et met en lumière, par la BD, les problèmes de
l’intolérance dans notre société. Il contribue accessoirement à dissiper
le cliché selon lequel la BD est superficielle.
Selon les organisateurs,
« le projet est tourné vers les jeunes car ils se trouvent souvent dans
des conditions sociales difficiles qui peuvent amener à des éclats de
violence. La BD est le langage idéal pour soulever ce genre de
problèmes, car dans ce milieu, les auteurs ont l’habitude de travailler
sur le sens, le texte et le dessin et véhiculent une image positive pour
la jeunesse ».
Cette année, le festival KomMissia s'est déroulé du 27 avril au 27 mai.
Dans le cadre du programme Respect, 22 auteurs ont exposé leur travail.
Les albums des créateurs étrangers ont été traduits en russe
spécialement pour l’occasion. Chacun a parlé des problèmes sociaux qui
lui tenaient à coeur. Au final, la sélection fut diverse et originale et
traitait de thèmes d’actualité.
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Pour les dessinateurs russes, les
thèmes de prédilection restent le pouvoir, l’immigration et le
nationalisme. Constantin Comardine a présenté l’album « Gouvernement
légal », une allégorie en images sur le monopole du pouvoir dans la
société. Un groupe de Terriens se posent sur une planète inconnue et y
découvrent une civilisation très évoluée et pacifique, dans laquelle le
pouvoir n’existe pas. Quand les Terriens apprennent aux indigènes à
« élire leur président », apparaît la notion de pouvoir et avec elle,
les sentiments vindicatifs.
Khikhous (44 ans), le dessinateur de BD le plus connu de Russie, a
raconté l’histoire d’un génocide de poissons. Pendant longtemps, les
poissons et les hommes vivaient en paix, mais un jour, le président
décréta que les poissons étaient coupables des maux de l’humanité et
décida de les chasser du pays en les parquant dans des camps sous-marins
spéciaux.
Présent également, le Bruxellois Thierry Bouüaert (48 ans) décrit une
guerre civile sur fond de conflits ethniques. La guerre sévit dans « un
quelquonque pays européen », et c’est l’histoire de la relation entre
deux héros, un Wallon et un Français, qui passe de la haine à l’amitié.
L’auteur prépare actuellement un album sur la jeunesse russe des années
90.
En trois ans d’existence, l’expo itinérante Respect a visité bien
des lieux. Le 25 mai, elle revient d'Helsinki pour repartir vers
Makhatchkala (Daguestan).
« En Russie, je connais près d’une cinquantaine de très bons dessinateurs, de vrais professionnels. Mais si l’on prend la Russie dans l’ensemble, je suis sûr que l’on trouverait assez de dessinateurs totalement méconnus avec un très bon niveau qui ne dessinent pourtant que pendant leurs temps libre. Il gagnent leur argent, comme la plupart des bédéistes russes, en faisant les illustrations des livres et des magazines, les storyboards pour le cinéma et les visuels pour les jeux-vidéo.
D’ailleurs, de grosses maisons d’édition comme Azbouka, Eksmo, Rosmen, ACT commencent à s’intéresser aux BD mais leur approche reste limitée. Un éditeur peut, par exemple, publier un album en grand format qui coûte largement trop cher par rapport au public. Souvent, ces maison d’édition finissent par se limiter à l’achat de BD à l’étranger tandis que les projets vraiment originaux, mais d’auteurs iconnus, doivent se débrouiller pour le financement et ne sont diffusés que dans un cercle restreint.
On peut comprendre les éditeurs : il est bien plus facile d’acheter une BD étrangère à succès 5 euros la page que de payer 300-400 dollars la page un dessinateur russe. De plus, le processus de fabrication d’une BD est assez complexe. Un dessinateur expérimenté peut produire une page en deux jours mais seulement s’il est bien payé. Pourtant, il est tout a fait possible de monter une production de BD en continu avec un groupe de 5 à 6 dessinateurs qui se relaient.
Je suis certain que dès l’apparition d’un véritable marché de la BD, les gros éditeurs vont innonder le marché avec les BD étrangères. C’est seulement après qu’il faudra sortir nos albums originaux, ce qui rendra possible la production « de masse ».
C’est la loi du business ! Pas facile de faire de l’argent avec la bande dessiné, genre encore trop méconnu.
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