« Occupy » version moscovite

Les opposants se sont organisés tellement que le campement a vite pris des allures de festival culturel, la politique étant presque passée au second plan. Crédit photo : RIA Novosti

Les opposants se sont organisés tellement que le campement a vite pris des allures de festival culturel, la politique étant presque passée au second plan. Crédit photo : RIA Novosti

La police a fini par disperser violemment un campement de l’opposition implanté dans le centre de Moscou depuis le 7 mai dernier. Le tribunal avait laissé aux militants jusqu’à mercredi midi pour débarrasser les lieux, mais l’OMON (troupes anti-émeutes) a préféré surprendre les manifestants dans leur sommeil, en lançant un raid à six heures du matin. Les opposants n’ont pas eu le temps de rassembler leurs affaires, laissant aux mains de la police générateurs, stocks de nourriture et d’eau, tapis de sol et autres objets qui, en une semaine, avaient transformé le sit-in originel en véritable « Occupy » moscovite.

Descendre dans la rue et y rester est une promesse que les leaders les plus ardents de l’opposition anti-Poutine ont faite maintes fois, du haut de la tribune. Mais il a fallu qu’une manifestation autorisée dégénère en clash entre la police et la foule, le 6 mai dernier, à la veille de l’investiture de Vladimir Poutine, pour que l’appel d’un Sergueï Oudaltsov, le leader du Front de gauche, et d’un Alexeï Navalny, le juriste-blogueur devenu chef spirituel de la lutte contre le régime, soit entendu et suivi. Depuis le 7 mai, un groupe d’opposants vagabonde dans le centre de Moscou, en jouant au chat et à la souris avec des troupes d’OMON. Un campement a tenu une semaine dans un square sur les Tchistye Proudy (Étangs Propres), au pied de la statue d’un poète kazakh, Abaï Kounanbaev, devenu le symbole de la résistance au régime de Poutine.

Tous les jours, plusieurs centaines de personnes se réunissaient à l’endroit qui a vite été surnommé « Occupy Abaï », devenu un état-major en plein air de l’opposition, avec des pics à deux mille visiteurs en débuts de soirées. Une centaine de personnes y dormaient toutes les nuits, assurant une « permanence citoyenne » ininterrompue. En l’absence des « chefs » - Oudaltsov et Navalny ont été arrêtés en début de semaine dernière -, les opposants se sont rapidement organisés : cuisine, service de sécurité, maintien de la propreté, ateliers et  conférences, concerts et déclamation de vers. Tellement que le campement a vite pris des allures de festival culturel, la politique étant presque passée au second plan. Les figures de l’opposition politique, Ilya Iachine du mouvement Solidarnost, les députés du parti Russie juste Ilya Ponomarev et Dmitri Goudkov, y faisaient certes des apparitions régulières, mais leurs discours fatigués galvanisaient moins la foule que la présence d’écrivains ou de musiciens célèbres. « C’est vrai que le message politique s’est simplifié », admet un visiteur assidu du campement, Vladimir, 26 ans, journaliste de profession et opposant à Poutine de confession. « En fait nous n’avons plus qu’une requête, notre combat se résume à ceci : nous en avons ras-le-bol. Et tout le reste en découle ».

« C’est très sympathique ce petit pique-nique perpétuel, mais on s’éloigne de plus en plus de la lutte politique pour le changement », regrette Andreï, un ingénieur à la retraite qui se souvient des manifestations millionnaires du début des années 1990. Peut-être les autorités elles aussi ont fini par évaluer l’aspect inoffensif de cette contestation champêtre. « Tant que les opposants se promènent sur les Tchistye Proudy et leur présence n’a pas définitivement mis en fureur le Kremlin, tant que la contestation est pacifique, on laisse faire », analyse le politologue Gueorgui Bovt (gazeta.ru). « On les montre même à la télé, « ces toqués urbains », pour que le pays sache à quoi ressemble l’opposition. »

Même si le phénomène est nouveau et surprenant à Moscou – les gens ont cessé de craindre la répression par la police et ne demandent plus l’autorisation pour investir en masse les rues et les parcs -, sa portée politique pose question. « L’opposition s’est épuisée dans sa forme actuelle. Elle n’a pas été inutile, elle a joué son rôle en montrant au pays que le pouvoir n’est pas sacré ni omnipotent, qu’il a un délimiteur. Ce délimiteur, ce sont des dizaines de milliers de gens capables de descendre dans la rue », relève Bovt. Toutefois, aucun progrès n’est perceptible côté dialogue avec le pouvoir qui ne s’est pas fendu du moindre commentaire sur la situation. Comme si la contestation anti-Poutine n’existait pas.

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