Le commissaire Juve de l’Elysée

Crédit photo : AFP

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Je n’ai vu Nicolas Sarkozy de près qu’une seule fois, et il m’a marqué. Non pas par ce qu’il disait ou par la façon dont il le disait mais par un air de famille, qui ne saute pas aux yeux à l’écran. Le président français ressemble comme deux gouttes d’eau aux héros des films des années 70.

En effet, Sarkozy est un savant mélange des deux personnages français les plus connus du public soviétique : Louis de Funès et Jean-Paul Belmondo. La mimique et la gesticulation du commissaire Juve et l’assurance inébranlable du « Professionnel ». En d’autres mots, un macho très drôle. Tous cela tenu par une énergie folle, et en celà, Sarkozy n’a pas d’égal.

Dans ses débuts, il a forcé l’admiration, mais à la fin de son mandat, il irritait plus qu’autre chose. Lors des élections qui approchent, les Français exprimeront leur degré de déception face à l’homme. Pour le moment, personne ne tente les pronostics, tout devrait se décider au second tour, dans une lutte acharnée entre Sarkozy et son adversaire François Hollande.

Nicolas Sarkozy, avec sa personnalité excentrique, semble être le reflet exact de l’esprit de la politique internationale actuelle. Aucune stratégie n’est vraiment possible car tout se passe trop vite, brutalement, de manière imprévisible et radicale. On ne peut pas dire que les événements ne suivent pas une logique interne mais pas un des grands retournements des 20 dernières années, à commencer par la chute du régime communiste en Europe de l’Est, n’était vraiment annoncé. Aujourd’hui, ce phénomène ne fait qu’amplifier, les leaders tentent de s’adapter à la situation en essayant d’en tirer profit ou du moins de minimiser les pertes. Et ils y arrivent plus ou moins bien, mais la qualité essentielle reste la vitesse de réaction et de prise de décision. Et c’est justement l’une des caractéristiques de Sarkozy.

Un exemple flagrant : la guerre en Libye. Le président français a toujours entretenu de bons rapports avec le colonel Kadhafi, tandis que son fils, Cheikh ul-Islam, se fondait dans les rangs de l’élite française. La famille du dictateur libyen aurait-elle contribué à financer la précédente campagne électorale de Sarkozy ? Ces accusations sont difficiles à croire bien que possibles. En tout cas, la France avait de grands intérêts économiques en Lybie. Malgré cela, quand la situation a commencé à se dégrader, Paris a réagi en premier : la situation change, il est prêt à livrer son partenaire et le plus vite sera le mieux, que ce soit pour l’économie ou la politique. Le deuxième point étant le plus important : la France a senti venir sa chance d’accroître son prestige, de renforcer sa position de leader militaire en Europe et de véritable puissance politique au Proche-Orient.

La reconnaissance officielle de l’opposition libyenne (la France se prononça en premier), la participation active aux combats, l’accompagnement diplomatique, toutes ces mesures ont été prises pour atteindre cet objectif et avec succès. Les conséquences stratégiques de la victoire sur Kadhafi ne sont pas claires : évidemment, il y a un risque que la France et toute l’Europe se retrouvent avec un point d’instabilité près de ses frontières dans un pays important fournisseur d’énergie. Or, cette vision à long terme n’est pas prise en compte car ce qui prévaut c’est la tactique et non la stratégie.

Quand Sarkozy a remporté les élection de 2007, la Russie était pessimiste. Le président arrivant était considéré comme un atlantiste, avec son penchant marqué pour le Etrats-Unis. Après Jacques Chirac, qui avait rompu avec les Etats-Unis et Georges Bush à cause de l’Irak, l’intention de Sarkozy de ramener la France au sein de l’OTAN fut considérée comme un véritable volte-face. Sarkozy a tenu ses promesses mais l’effet ne fut pas celui escompté. Cela n’a pas particulièrement consolidé l’Alliance, au contraire. La campagne libyenne a démontré que l’OTAN manquait d’unité et se dispersait entre les intérêts de chaque pays. En outre, la politique de la France vis-à-vis de la Russie n’en a pas pâti mais a gagné en dynamique. Car la France aime garder l’équilibre et le rapprochement avec Washington devait être compensé par un mouvement vers Moscou.

La Russie n’a d’intérêt ni dans la victoire, ni dans la défaite de Sarkozy. Poutine n’y est pas attaché particulièrement comme à Gerhard Schröder ou Berlusconi (attachement personnel) ou encore à Chirac (même vision de l’Europe et de l’ordre mondial).

Cela est sûrement dû au narcissisme marqué de Sarkozy, bien que sa mentalité soit facilement compréhensible pour les hommes politiques russes, surtout pour Poutine.

Ils se ressemblent par leur poigne de fer en affaires (intérêt pour la réalisation de grand projets) et la volonté d’établir, ce que les Français appellent, la « grandeur du pays ». Les relations de Nicolas Sarkozy avec la Russie sont marquées par deux projets d’ampleur historique : le rôle qu’il a joué dans le cessez-le-feu avec le Caucase et la vente à la Russie des navires de guerre Mistral.

L’intervention de la France entre la Russie et la Géorgie en 2008 a permis de sortir du conflit sans perdre la face et sans conséquences dramatiques. Une chance que ce soit la France qui assurait la présidence de l’Union Européenne, avec ses velléités diplomatiques et de prestige politique. S’il s’était agi d’un autre pays, on ne sait pas la tournure qu’aurait pris la situation. Sarkozy, tout comme pour la Libye, a suivi son intuition qui est toujours tournée en faveur du succès personnel et national. (Six mois plus tard, l’Europe, avec à sa tête la Tchéquie, a eu beaucoup plus de mal à venir à bout de la crise gazière entre la Russie et l’Ukraine.)

Quant à l’acquisition des Mistral, c’est pour la Russie une incontestable avancée, surtout au niveau politique. C’est la première fois que la Russie achète de l’armement lourd à l’étranger ce qui signifie un net changement de mentalité, un refus de l’autarcie en matière militaire, prônée par le régime soviétique. Compte tenu que l’un des thèmes essentiels du mandat de Poutine sera l’avenir militaire, le réarmement et la modernisation de l’armée et de la flotte, la question de la concurrence et de l’appel aux producteurs étrangers sera de première importance. La France s’est assuré une place bien stable, quel que soit le prochain élu.

L’ombre des origines de Sarkozy planait sur sa précédente campagne présidentielle : on lui reprochait de ne pas être assez français. Cinq ans plus tard, on peut tout lui reprocher, sauf ça. La psychologie et le comportement de cet homme issu du milieu juif gréco-hongrois se sont avéré 100% français et même davantage, avec toutes les qualités et les défauts du caractère national.

Comme on peut le voir à travers les films français, ni les gendarmes rigolos, ni les héros costauds ne se rendent jamais. Sarkozy, qui réunit les qualités de ces deux figures, est donc destiné à se battre jusqu’au bout.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du journal La Russie dans la politique mondiale.

Version intégrale de l’article sur le site de gazeta.ru

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