Olga Dergounova, ex-présidente de Microsoft Russie. Crédit photo : Kommersant
Même la langue russe fait barrage. Le terme « businesswoman » n’a pas fait son trou dans le vocabulaire. On commence tout juste à entendre le suffixe « -ka » collé à « businessman », ce qui crée un hybride signifiant « homme d’affaires féminin ».
Mais une liste récente des 100 femmes les plus influentes de Russie, compilée par la radio Écho de Moscou et plusieurs autres médias, montre que les leviers de l’économie sont entre des mains féminines plus qu’on ne le pensait. Noyées dans le groupe habituel des pop-stars, des mondaines et des militantes, figurent 24 femmes d’affaires dont les états de service sont truffés de postes de haut niveau et de réalisations majeures.
« Un proverbe russe dit que derrière tout homme qui réussit, il y a une femme à poigne », rappelle Elena Panfilova, directrice générale du bureau russe de Transparency International, qui est 67ème de la liste. « Les 24 femmes d’affaires de ce classement ne représentent que celles qui sont visibles. Mais dans les coulisses, les femmes jouent également un rôle important : la moitié des grands avocats, des chefs comptables et des directeurs financiers dans les grandes entreprises de Russie sont des femmes ».
La liste est composée de personnalités diverses représentant un large
éventail de secteurs traditionnellement masculins tels que l’aviation,
la technologie et la sphère pétrogazière, mais aussi des secteurs plus
féminins comme les médias et le commerce de détail. On note une fracture
assez nette entre les femmes d’affaires moins connues qui sont
parvenues à des postes élevés au terme de dures années de labeur, et
celles qui ont bénéficié du coup de pouce d’un mari fortuné et influent.
Polina Deripaska, 32 ans. Dirige Forward Media Group. Fille de Valentin Ioumashev, qui fut conseiller et gendre de Boris Eltsine, le premier président russe.Crédit photo : Photoxpress |
Deux des plus célèbres de la liste, Daria Joukova et Polina Deripaska, étaient unies aux hommes les plus riches du pays quand elles ont commencé leur carrière entrepreneuriale, ce qui ne veut évidemment pas dire qu’elles étaient dépourvues de mérites propres. Mme Joukova dirige l’une des galeries d’art moderne les plus renommées de Moscou, Garage, tandis que Polina Deripaska a donné une nouvelle vie à Forward Media Group, la maison d’édition dont la prise en charge lui a été confiée par son mari. Mais une large majorité de femmes chefs d’entreprise ont gravi les échelons grâce à leur talent et un dévouement total à leur travail.
Un bon exemple en est offert par Natalia Kasperskaïa, deuxième femme la plus riche de Russie selon
Forbes, qui a fondé avec son mari Kaspersky Lab, une entreprise de classe
mondiale dans le domaine de la sécurité informatique. Mme Kasperskaïa, qui dirige actuellement sa propre société, InfoWatch, est souvent
citée comme l’illustration même du potentiel de la Russie dans le
secteur de la haute technologie à l’échelle mondiale.
Natalia Kasperskaïa, 46 ans. Ex-présidente de l’éditeur d’antivirus russe Kaspersky Lab. Depuis 2007, propose ses propres produits en matière de sécurité informatique. Crédit photo : Kommersant |
D’autres femmes d’affaires occupent des postes élevés au sein de grandes entreprises russes, mais ont une faible présence médiatique et sont rarement considérées comme le visage des entités où elles exercent leur savoir-faire. C’est le cas de la directrice adjointe de Sberbank, Bella Zlatkis, l’une des fondatrices de la bourse MICEX qui négocia la restructuration de la dette russe lors de la crise de 1998.
Olga Dergounova, classée 37ème de la liste, a figuré à deux reprises sur la liste du
Wall Street Journal
des meilleures dirigeantes européennes pour sa gestion de Microsoft
Russie et son rôle actuel au sein du conseil d’administration de la
banque VTB.
Selon une étude sur les perspectives de carrière
féminines réalisée en 2011 par la société d’audit internationale
PriceWaterhouse Coopers, les Russes se révèlent très performantes mais
atteignent rarement le sommet de la hiérarchie des entreprises. L’étude a
fait ressortir que 91% des postes de chef comptable
étaient occupés par des femmes, alors que celles-ci ne représentaient
que 6% des postes de PDG : comme quoi les femmes peuvent avoir de
grandes compétences sans viser les plus hautes responsabilités.
Mme Panfilova en conclut que le rôle des femmes dans l’entreprise ne
fait que refléter la perception de leur rôle dans la société :
« Parfois, les femmes préfèrent tout simplement garder un profil bas
.
N’oublions pas que la plupart d’entre elles sont aussi des mères de
famille et n’ont tout simplement pas le loisir de faire leur propre
promotion. Le temps qu’y consacrent les hommes, les femmes le passent à
la cuisine ».
Lisez sur la page 2 entretien avec Olga Sloutsker, de World Class
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Le beau parcours de la reine des clubs de gym : entretien avec Olga Sloutsker, de World Class
Olga Sloutsker. Crédit : Press Phot | BIOGRAPHIE Né à :
Leningrad Olga Sloutsker a commencé l’escrime à l’âge de 11 ans et l’a pratiquée 12 ans au sein de l’équipe de Léningrad (St-Pétersbourg), finissant « maître » de la discipline. En 1993, elle a ouvert World Class, le premier club de gym en Russie. Aujourd’hui, il en existe 37 dans le pays et la Communauté des États indépendants. Des formules plus abordables ont ensuite été lancées. |
Racontez-nous le démarrage de votre carrière dans les affaires.
Je n’avais jamais pensé devenir une femme d’affaires. Ce fut par
accident. En tant qu’athlète professionnelle, je me suis entraînée toute
ma vie dans des salles de sport non chauffées ou étouffantes et à
l’étroit. Lors de vacances en Espagne
, j
e suis allée à un cours d’aérobic dans le club de mon hôtel, où j’ai vu des gens s’amuser
en faisant
des exercices dans une belle salle et en musique. Moscou ne comptait pas
de clubs de de ce type. Je me suis dit qu’il me fallait tenter ma
chance. Avec mon mari, nous avons trouvé un site et avons tout monté, de
nos propres mains. Mon époux a investi 300 000 euros dans l’affaire.
Comment votre initiative a-t-elle été accueillie ?
Les journalistes m’ont harcelée de questions, du type : comment allait-on pouvoir vendre de l’exercice physique ?
Qui étaient vos premiers clients ?
Les plus fortunés.
Des stars du cinéma, des célébrités du showbiz, hommes d’affaires, journalistes célèbres, politiciens.
Vos tarifs étaient
exorbitants…
Certes. Mais il n’y avait aucune concurrence, nous étions tout seuls.
Et les gens étaient prêts à payer le prix fort pour un club de sport au
centre de Moscou avec de nombreuses salles, des cours d’aérobic et un
équipement qu’on ne trouvait nulle part ailleurs.
Quand avez-vous atteint votre seuil de rentabilité ?
Très rapidement. La situation
était très différente en 1993, nous sommes devenus rentables en moins
d’un an. J’avais une équipe merveilleuse, mais je ne pouvais pas
promouvoir tous mes employés.
Je ne voulais pas les perdre non plus. C’est alors que nous avons décidé
d’ouvrir un deuxième club World Class. Et puis, ça s’est emballé : les
nouvelles offres pleuvaient. Nous avons vend
u
des franchises et
a
ujourd’hui le groupe est présent dans 15 villes.
Comment expliquez-vous que des femmes soient à l’origine du concept des clubs de gym en Russie ?
Peut-être que les hommes russes hésitent à prendre le temps de construire quelque chose à partir de zéro.
À
l’époque, la privatisation des grands secteurs indusriels faisait
qu’
on pouvait acheter un champ de pétrole ou une grosse usine sans trop d’effort. Les hommes ont choisi cette voie.
World Class fut notre première entreprise. Puis n
ous avons décidé d’en créer une autre, Planeta Fitness, proposant des tarifs plus abordables
et rejointe par une partie de mon personnel. Une troisième chaîne a été créée par la femme de mon directeur des
ventes. Il ne s’agit pas tant d’une initiative féminine que d’un réseau
féminin lancé par World Class. Nous avons travaillé dur, vivant selon
nos moyens - ce qui est typique pour une femme. Nous avons en réalité
importé cette industrie en Russie.
Propos recuillis par Vladimir Rouvinsky
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