La fabrique des écrivains

Crédits photo : Elena Sarni

Crédits photo : Elena Sarni

Selon les idées reçues, les Russes liraient de moins en moins. Pourtant, l'intérêt des Russes pour la lecture ne s'effrite pas, comme le prouvent les nombreux manuscrits de jeunes écrivains recueillis chaque matin dans les boîtes aux lettres des éditeurs.

Un écrivain novice a plus de chance d'être remarqué s'il a moins de trente-cinq ans, mais encore faut-il envoyer son manuscrit à la bonne adresse : le prix littéraire indépendant pour les jeunes écrivains « Début ». L'année dernière, ce sont plus de 40 écrivains russophones qui y ont participé, venus présenter leurs travaux depuis les quatre coins du monde.

A la clé, un million de roubles, des publications en Russie et à l'étranger, des études littéraires en classe préparatoire, le chemin vers la grande littérature, et peut-être la gloire dans toute la Russie.

Ainsi, Sergueï Shargunov, « Débutant » 2001 est monté l'année dernière à l'assaut du très prestigieux prix National Best-seller avec son roman autobiographique Livre sans photos. Quant au dramaturge Vassili Sigariev, qui a remporté le concours en 2000, il collectionne depuis les prix russes et internationaux, y compris le célèbre Evening Standard Theatre.

Une des grandes découvertes du prix Début, Alisa Ganieva, était déjà connue des cercles littéraires comme critique, mais lorsqu'elle a remporté le prix en 2009, le monde de la littérature russe a découvert qui se cachait derrière le pseudonyme masculin de Salam à toi, Dalgat !, une nouvelle qui retrace la journée d'un jeune homme de Makhatchkala, au Daghestan

Son récit a été salué par la critique: « Il n'existe, dans la littérature russe, aucune image retraçant de manière si juste et si complète le Caucase actuel », s'est enjoué le journal littéraire Octobre.

Dans son récit, Alissa Ganieva soulève le thème particulièrement sensible du banditisme parmi les wahhabites daghestanais, suscitant une grande résonance, mais aussi de la colère et du mécontentement. Au Daghestan, d'où est originaire Alissa Ganieva, c'est une honte d'écrire de telles choses lorsqu'on est pieuse musulmane. Mais c'est justement l'absence du sentiment de peur qui a fait de cette téméraire jeune femme un grand écrivain. Alissa, elle, répond sur le site russe Openspace que « les réactions déchaînées, surtout négatives, à mes débuts, les nombreuses lettres reçues des Daghestanais et des autres, les critiques, verbales ou écrites, de nature et niveaux différents, tout cela m'a tellement appris : sans le prix « Début », je n'aurais sans doute jamais osé me révéler comme écrivaine ».

Pendant plus de 10 ans, « Début » était réservé aux moins de 25 ans. Mais juste avant le lancement du concours précédent, les organisateurs ont décidé de reculer la limite d'âge à 35 ans. « Lorsque j'ai commencé à écrire, j'avais 25 ans, et je me suis immédiatement précipitée pour envoyer mon texte », raconte la lauréate 2011 de la catégorie « Science fiction », Anna Léonidovna, 33 ans, qui vit près de Moscou. 

Au total, la somme offerte par le fond d'organisation du prix « Début » à tous les jeunes talents en lice n'est pas inférieure aux autres prix littéraires russes, comme le « Booker Russe », qui offre 150 000 euros. Mais une telle somme pour de jeunes écrivains est entièrement justifiée, assurent ses organisateurs. « Un écrivain a besoin d'un lieu pour écrire. Plusieurs millions de roubles sont nécessaires pour résoudre les problèmes du quotidien et permettre aux jeunes talents de se concentrer sur leur œuvre », confirme la coordinatrice de « Début ».

Toutefois, le prix littéraire « Début » est bien plus que de l’argent ou la publication d’une œuvre, c’est une reconnaissance, avec la chance, pour une pièce de théâtre, d’être mise en scène. « Une pièce est comme une jeune femme russe : le plus important pour elle est de trouver son âme sœur, son metteur en scène. La mienne aussi, je l’ai repoudrée, pourquoi rester vieille fille toute sa vie ? », s’amuse la dramaturge Nina Belenitski, nommée en 2011 et qui fait déjà partie des plus jeunes et des plus talentueuses dramaturges de Russie.

Le lauréat 2011 de la catégorie « Petite prose », Edouard Loukoïanov, a envoyé son manuscrit  à trois reprises, pour finalement remporter cette victoire tant espérée. « La littérature a toujours été centrale pour moi. Très tôt, je me suis passionné pour la lecture, puis pour l’écriture. Mais très vite, j’ai dû faire face à un problème de taille : soutenir un jeune écrivain dans notre pays n’est pas rentable et, finalement, pas très intéressant », confie le jeune auteur. « Non seulement le prix Début ne m’a pas ignoré, mais il m’a même surpris ».

Tous les gagnants du prix « Début » continuent à écrire, poussés par leurs premiers succès et la confiance du jury. « Mon but principal, écrire un texte de qualité, est devenu beaucoup plus difficile à atteindre. Désormais, on attend plus de moi, les exigences sont plus grandes. Remporter le prix « Début » ne veut pas dire se reposer sur ses lauriers, au contraire, c’est une incitation au travail acharné, approfondi », explique Vladislav Passetchnik, qui a remporté la catégorie « Grande prose », pour son récit Modé.

Les organisateurs du prix « Début » font la promotion de leurs protégés, et pas seulement en Russie. Les œuvres des jeunes talents sont traduits en plusieurs langues, dont l’anglais, le chinois, l’allemand, le français ou l’espagnol, et sont publiés dans des recueils « à déguster », comme aiment à les qualifier les organisateurs du prix.

Le nombre de jeunes talents qui participent au concours est impressionnant. « Je me souviens des jeunes de ma génération, au même âge : il me semble que nous étions moins brillants, moins éclairés, tandis que ces jeunes sont tout simplement lumineux. En Russie, il existe un présage: s’il naît de nombreux garçons, c’est pour la guerre. Et bien, désormais, il naît des écrivains pour conquérir à nouveau le monde », témoigne l’organisatrice.

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