Ilia Ponomarev, député de la Douma. Crédits photo : ITAR TASS
M. Ponomarev, sommes-nous en train d’assister à la fin de l’ère Poutine ?
Ilia Ponomarev : C’est évident. Sa réélection ou non dépendra de l’efficacité du mouvement de protestation et de la qualité de notre coordination. Le pays n’est plus le même aujourd’hui.
Le mouvement de contestation rassemble des groupes très différents : communistes, libéraux, nationalistes. A-t-il des chances de parvenir à ses fins ?
Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de disputes violentes, malgré des tentatives de jeter de l’huile sur le feu.
Biographie
Né à Moscou
Agé de 36 ans
Profession : politicien et informaticien.
A l’âge de 16 ans, Ilia Ponomarev a fondé sa première entreprise de vente d’ordinateurs et de création de logiciels. Il a également travaillé au service informatique du groupe Ioukos, démantelé plus tard pour le pouvoir. Depuis 2010, Ponomarev est responsable de la coopération internationale et de la commercialisation technologique à la Fondation Skolkovo (la Sillicone Valley russe). Politiquement, Ponomarev se situe à gauche : membre du parti communiste jusqu’en 2007, il a fondé le mouvement Front de gauche en 2005. La même année, il a été élu à la Douma sur les listes de Russie juste. Ponomarev est l’un des organisateurs des manifestations qui ont commencé en décembre contre les fraudes aux élections.
Mais le mouvement s’est scindé en deux : une faction politique, le Mouvement des citoyens, et une faction civile, la Ligue des électeurs. Les représentants de la Ligue, dont des écrivains célèbres comme Lioudmila Oulitskaïa et Boris Akounine, semblent éviter soigneusement toute association avec des politiciens. Pourquoi ?
Les Russes n’aiment pas les politiciens. Ils ne leurs font pas confiance, ce qui est parfaitement justifié par le comportement de ceux-ci à la Douma. Personne ne veut participer à un mouvement dirigé par des hommes politiques, même s’ils représentent l’opposition. C’est pourquoi je salue la formation d’un groupe composé d’autorités morales, de personnalités qui n’ont jamais joué à aucun jeu de pouvoir et peuvent garantir la neutralité. En résolvant ce problème, nous avons pu unifier les politiciens. Parce qu’ils sont tout de même nécessaires. Quelqu’un doit bien formuler les demandes et rédiger les lois.
Pensez-vous que la participation des nationalistes dans le mouvement des citoyens soit un problème ?
C’est un problème mais il est inévitable. Nous obéissons à un principe important : n’importe quel protestataire, à Moscou ou ailleurs dans le pays, doit avoir le droit de rejoindre le mouvement. Pour moi, les extrêmes de gauche et de droite ont toujours été des opposants, mais aujourd’hui, nous avons un but commun : des élections justes et libres. C’est pourquoi nous avons choisi le ruban blanc comme symbole : le blanc est la somme de toutes les couleurs.
Est-il possible que les siloviki, les membres des services secrets, de l’armée ou de la police, ainsi que les fonctionnaires, tous ceux qui profitent du système en somme, veuillent sa dissolution ?
Il est possible pour eux de profiter de cette situation de deux manières différentes. Soit tenter d’obtenir encore plus, soit chercher à préserver ce qui existe déjà. Actuellement, les élites choisissent plutôt la seconde option. Un bon exemple : l’ancien ministre des finances Alexei Koudrine, qui a participé à la manifestation du 24 décembre. Les élites se distancient de Poutine et parlent de compromis, pour ne pas risquer de tout perdre.
Est-ce que le reste du pays est au courant qu’il y a des manifestations de masse à Moscou ?
Le 10 décembre, 7000 personnes sont descendues dans la rue à Novossibirsk. C’est un record absolu depuis 1990, mais il ne faut pas oublier de toute façon que les révolutions russes se sont faites à Moscou.
Vous êtes député, à la Douma, depuis 2007. Avez-vous cru en Medvedev ?
Oui, et j’ai été très déçu. Je me considérais comme faisant partie de l’équipe de Medvedev. Bien sûr, je savais que nous aurions peut-être à laisser le pouvoir à Poutine, mais pas si cyniquement et sans résistance ! Ce faisant, Medvedev n’a pas seulement détruit tout ce à quoi il a œuvré ces quatre dernières années, mais également sa réputation. Medvedev, l’homme politique, n’existe plus.
Mais n’est-il pas censé devenir Premier ministre?
C’est impossible. Plus personne ne veut lui parler, ni l’élite poutinienne, ni ceux qui ont cru en lui.
Craignez-vous que le régime perde patience et finisse par user de la force contre les manifestants ?
Lénine a dit : « Pire c’est, mieux c’est ». Il voulait dire par cette formule que les défaites de l’armée tsariste pendant la Première Guerre mondiale augmentaient les chances d’une révolution. De quoi peut rêver un révolutionnaire aujourd’hui ? Que Poutine bloque internet, arrête les politiciens de l’opposition et mette un terme aux manifestations par la force ? Tout cela provoquerait un tour de bâton violent. Nous ne sommes pas intéressés par ce genre de développement, mais si le régime choisit cette voie, il scelle son propre destin. Il cessera d’exister en une semaine.
Le régime a-t-il répondu à vos demandes ?
Il n’y a pas eu de concessions significatives. Après la deuxième manifestation, le gouvernement a dit : « OK, on va réinstaurer les élections des gouverneurs. Tous les partis pourront s’enregistrer. » Mais notre exigence principale est l’organisation de nouvelles élections législatives.
A votre avis, quel devrait être le prochain pas de Poutine?
Il doit dire : « Je comprends qu’il ne peut pas y avoir d’élections objectives dans les circonstances actuelles. Si tous les candidats sont prêts à se retirer, j’en ferai de même ». Puis les élections devraient être reportées de six mois, et entre temps les lois devront être amendées pour permettre des élections honnêtes.
Est-ce que ce scénario est possible ?
Eh bien, on peut sacrifier une partie pour éviter de perdre le tout. Poutine demeure un politicien extrêmement populaire, et je n’exclus pas la possibilité qu’il sera élu président à l’issue d’élections justes.
Propos reccueillis par Moritz Gathmann.
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