Medvedev au Parlement : de belles paroles, mais peu d'actes

Ian Pryde est fondateur et PDG d'Eurasia Strategy & Communications basé à Moscou.

Ian Pryde est fondateur et PDG d'Eurasia Strategy & Communications basé à Moscou.

Dans son dernier discours à l'Assemblée fédérale russe avant de quitter ses fonctions de président l'année prochaine, Dmitri Medvedev a affirmé que beaucoup avait été fait au cours des quatre dernières années, et ce malgré le début difficile de sa présidence en 2008, qui coïncidait avec le début de la crise financière mondiale.

Ian Pryde est fondateur et PDG d'Eurasia Strategy & Communications basé à Moscou

« La Russie, a-t-il soutenu, a bien résisté. Son économie est désormais au sixième rang mondial et a retrouvé les niveaux d'avant-crise, l'inflation est au plus bas depuis des années et le chômage a baissé de deux millions en deux ans, pour atteindre un des plus faibles niveaux au monde. L'épargne domestique et les prêts aux entreprises ont augmenté, tandis que de grandes réserves d'or et de devises étrangères continuent d'amortir l'impact des chocs exogènes sur le pays. » En bref, la Russie se croît à un rythme tout à fait raisonnable de quelque 4% par an et jouit d'une position beaucoup plus solide que les pays développés, où la croissance est bien plus lente.

M. Medvedev a également assuré que sa décision de moderniser le pays, prise à l'apogée de la crise, était absolument correcte et portait déjà ses fruits. La Russie a produit de nouveaux supercalculateurs, la pénétration du haut débit a augmenté et la télévision et la radio passent au numérique. Et malgré le scepticisme initial et persistant concernant Skolkovo, la « Silicon Valley russe » située près de Moscou, plus de 300 entreprises y sont désormais implantées, notamment des leaders mondiaux, et une université technologique moderne y a vu le jour.

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Départ en fanfare

Medvedev a raison : la Russie a, en effet, réalisé beaucoup de progrès. Cependant, ce tableau idyllique fait l'impasse sur plusieurs problèmes et risques majeurs. Le président a justement souligné le risque d'un ralentissement économique mondial, évoquant la « récession » et la « dépression » encore plus grave. Il a rappelé que la Russie était à l'épicentre d'une concurrence accrue pour les cerveaux et les ressources à un moment où le pays pourrait être confronté à une dépression mondiale qui pourrait durer plusieurs années.

Mais Medvedev n'a émis aucun appel aux dirigeants mondiaux afin d'agir ensemble et de résoudre les problèmes de l'économie par une action politique concertée visant à stimuler la croissance. Il ne s'est pas attaqué à ce problème beaucoup plus profond qu'est la réduction des énormes déséquilibres commerciaux entre les pays développés importateurs et les exportateurs de matières premières et de produits manufacturés tels que la Russie, le Japon, l'Allemagne et la Chine. Ceci, bien sûr, bénéficie à la Russie au sens strict, mais rend le pays vulnérable aux chocs extérieurs et complique la diversification de l'économie, en particulier quand la volonté politique fait défaut.

D'autre part, M. Medvedev a fait appel à davantage de soutien aux grandes entreprises et aux PME, et inclus la modernisation dans la création d'un gouvernement ouvert et électronique censé réduire la corruption : « Il est inadmissible que les hommes d'affaires aient à combattre les obstacles bureaucratiques pendant des mois et que des officiels fassent du lobbying pour des organisations concurrentes ».

Sous le leadership de Poutine et Medvedev, le nombre de bureaucrates gouvernementaux a pourtant explosé, passant de 1,16 million fin 2000 à 1,65 million fin 2010, malgré la baisse de la population du pays. La Russie compte aujourd'hui quatre fois plus de fonctionnaires et 2,5 fois plus d'inspecteurs des impôts pour 1 000 habitants que les États-Unis. Les deux tentatives menées depuis 2000 afin d'en réduire le nombre ont échoué, la dernière datant de 2010. Ceci est une des raisons pour lesquelles de nombreux commentateurs comparent la Russie contemporaine à l'Union soviétique, qui a souvent échoué à mettre en œuvre les réformes contre la volonté collective des 19 millions de membres du Parti communiste.

Dans une allocution télévisée plus tôt cette semaine, le Premier ministre Vladimir Poutine, l'homme fort de la Russie, a donné un bon exemple des problèmes du pays : il a affirmé que les ordres donnés il y a deux mois visant à fermer les sociétés offshore mises en place par les entreprises d'État et à rapatrier leurs comptes en Russie, avaient tout bonnement été ignorés.

Bien que Medvedev ait souvent dit des choses justes, le gros problème des déclarations-programme à travers la longue histoire de la Russie a toujours été leur mise en œuvre. Les spéculations vont bon train sur l'avenir de Medvedev, et il constitue sans doute déjà un canard boiteux avec quelques mois de sursis jusqu'à l'investiture du nouveau président.

Des réformes majeures en Russie permettraient d’ajouter plusieurs points de pourcentage au PIB annuel du pays. Cependant, de tels changements vont souvent à l'encontre des objectifs politiques de la politique intérieure et étrangère du gouvernement ainsi que de sa volonté de contrôle et de stabilité avant tout. Sa position sur les visas et les investissements étrangers est typique. Si la Russie avait décrété un régime sans visas pour les hommes d'affaires et les touristes il y a 10 ou 20 ans, en délivrant les visas à la frontière comme la Turquie ou l'Egypte, et invité des investisseurs et experts internationaux sérieux, elle aurait actuellement une industrie touristique développée qui aurait créé des millions d'emplois et diversifié l'économie. Mais la Russie a perdu des milliards, si ce n'est des milliers de milliards de dollars liés au tourisme, en raison de son adhésion obstinée à l'idée que le régime des visas devait être fondé sur la réciprocité.

Comme Medvedev l'a indiqué à juste titre, la performance économique de la Russie en 2012 dépendra largement de l'économie mondiale. La Russie a besoin aujourd'hui d'un prix du pétrole d'environ 115 dollars le baril pour maintenir un budget équilibré, bien que le ministère des Finances ait déclaré que même si le pétrole tombait à 60 dollars, il n'y aurait pas de problèmes majeurs. Comme l'a déclaré M. Medvedev dans son discours, la crise n'est pas une excuse pour couper les engagements supplémentaires pris par Russie dans la sphère sociale à la veille des élections législatives et présidentielles. Il a souligné qu'ils seraient tenus dans leur intégralité.

Alors que la Russie agit tout à fait correctement pour le moment et pourrait fort bien être en mesure de s'en sortir, de profonds problèmes structurels demeurent. L'initiative Skolkovo, par exemple, est dérisoire par rapport au développement rapide en matière de R&D et de croissance commerciale que connaît la Chine.

Comme souvent, Guennadi Ziouganov, leader du Parti communiste de Russie, a fustigé le point de vue officiel dans un commentaire ironique sur les déséquilibres de l'économie russe. S'exprimant au Kremlin sur la chaîne informative Russie 24 après l'allocution de M. Medvedev, il a déclaré : « Nous mangeons des tomates turques, nos sous-vêtements sont chinois et nous conduisons des voitures japonaises ».

Ian Pryde est fondateur et PDG d'Eurasia Strategy & Communications basé à Moscou. 

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