Le coup de semonce des législatives

Crédits photo : RIA Novosti

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La victoire étriquée de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine, aux élections législatives du 4 décembre a été ressentie comme un coup de semonce pour le pouvoir qui cherche désormais des solutions pour reprendre le dessus avant les présidentielles du 4 mars prochain. Avis d'experts.

Des leçons à tirer au Kremlin

Konstantin von Eggert pour la Russie d’Aujourd’hui


Quand le Président Dmitri Medvedev et le Premier ministre Vladimir Poutine sont apparus sur les écrans de télévision russe la nuit après élections à la Douma, leurs visages disaient tout. Les sourires tendus ne pouvaient cacher la déception. Russie unie, leur parti, a été massivement boudé par les Russes. Sa part du vote national a chuté d’environ 64% à 49%. Cela, en dépit des fraudes massives perpétrées à travers le pays. Les gouverneurs de région, les autorités locales et la police mènent la charge portée contre les partis d’opposition, les observateurs électoraux et les journalistes. En vain. Encore plus gênant, Moscou, Saint-Pétersbourg et d’autres grandes villes ont valu à Russie unie ses résultats les plus faibles. Sans les ­fraudes massives, le parti aurait parfaitement pu terminer troisième dans les deux capitales. Il y a plusieurs conclusions à en tirer.


Premièrement, cette élection était un référendum de facto sur les dix années de Russie unie au pouvoir. Un signe que la population est fatiguée du monopole politique et de la corruption qui y sont associés.


Deuxièmement, de nombreux Russes croient que Russie unie est une bande de « mauvais boyards » à la cour du « bon tsar » Poutine. Mais il est aussi clair que pour beaucoup, ce fut une chance d’exprimer leur mécontentement envers Poutine. À cet égard, le vote de décembre peut être vu comme une sorte de « point de départ » de l’élection présidentielle russe, prévue pour mars 2012. Si, au printemps, Poutine se lance dans le semblant de campagne qu’on a observé lors des élections précédentes, il perdra encore plus de crédibilité.

Troisièmement, ce fut la pre­mière élection russe au cours de laquelle la classe moyenne naissante de Russie, des trentenaires, et virtuoses de l’iPad, sont vraiment allés voter. C’est la génération qui a le plus bénéficié de la « décennie grasse » - les deux premiers mandats de la présidence de Vladimir Poutine en 2000-2008. Ce sont les années du boum pétrolier, une manne pour ces nantis qui ne s’intéressaient pas du tout à la politique ou qui soutenaient Poutine et Russie unie. La crise écono­mique, la stagnation politique et la corruption les en ont détournés - c’est le quatrième facteur.


Cinquième et dernier point, plus les autorités feront les gros bras, plus elles produiront de l’opposition. Pour l’instant, les Russes ne voient pas encore d’alternative. Il n’y a pas de forces politiques crédibles de centre-droit, et personne à acclamer pour environ 30% de l’électorat nationaliste. D’où un terrain fertile pour les populistes en tout genre. Le plus grand danger pour la Russie est maintenant ce vide inquiétant si des mesures de modernisation et de libéralisation ne sont pas prises rapidement.

Konstantin von Eggert est 
politologue.



Tous vainqueurs

Vitali Ivanov, Izvestia

C’était certainement la première élection de l’his­toire récente dont tous les participants sont sortis vainqueurs. Russie unie reste le parti dominant, détenteur de la majorité absolue à la Douma. Avec tout ce que cela implique. Le Parti communiste (KPRF) est lui aussi gagnant. Il y a, bien sûr, quelque chose de pervers dans le fait que le successeur du PCUS (Parti communiste soviétique, ndlr), qui a alimenté pendant deux décennies la nostalgie du régime soviétique, recycle désormais avec succès le mécontentement contre le parti au pouvoir. La même chose s’applique au Parti libéral-démocrate (LDPR) et à Russie Juste. Ils ont également gagné. Et eux aussi, principalement grâce à l’augmentation globale du vote protestataire, non pas en vertu de leur propre rayonnement. Eux non plus ne conserveraient pas leurs gains si de nouveaux acteurs se manifestaient.


Passons à ceux qui n’ont pas franchi la barre des 7%. Depuis 2003, Iabloko mène une exis­tence posthume. Celle-ci devrait se poursuivre pendant cinq nou­velles années. Trois pour cent des voix, conformément à la loi, 
donnent droit à un financement public. Que faut-il de plus à un homme mort ? Iabloko y gagne donc lui aussi. Les Patriotes de Russie et Juste Cause sortiraient-ils eux aussi gagnants ? Bien sûr. Pour eux, une présence sur le bulletin est déjà une victoire. Un parti, en principe, est obligé de participer aux élections, sans quoi se pose la question de sa liquidation.


En général, l’opposition est gagnante. Le parti au pouvoir a été poussé dans ses retranchements, et ce succès peut être attribué tant à ses bénéficiaires directs - les commu­nistes, Jirinovski et Russie Juste - qu’à la communauté des défenseurs de la démocratie, qui a mené une campagne acharnée contre le « parti des escrocs et de voleurs ».


Et, bien sûr, le pouvoir a gagné. Les élections ont démontré la fiabilité du système politique mis en place ces dernières années. On cherche à le réduire à Russie unie et à la verticale du pouvoir. Mais en réalité, il est beaucoup plus large. Il embrasse les partis minoritaires de la Douma, qui sont répartis de telle sorte que les oscillations ne peuvent pas sérieusement endommager le système. Que la part de l’électorat protestataire augmente, même fortement : elle ne sera pas canalisée par quelqu’un, mais par le système, par le Parti communiste prévisible et absolument contrôlable. Ce qui reste, grosso modo, est divisé entre Russie Juste et le LDPR. Iabloko et les autres ramassent les miettes.
Le système est bien plus ro­buste qu’il ne puisse y paraître de prime abord.

Vitali Ivanov est politologue. Article publié dans Izvestia.

Voter « contre », et puis ?

Gueorgui Bovt pour la Russie d’Aujourd’hui

Le pouvoir doit d’urgence réagir à la montée du mécontentement social et instaurer le dialogue. Contrairement à ce qu’on ap­pelle la « Russie de la télé », une grande partie de la « Russie de l’Internet » est restée frustrée par les résultats des élections. Cette catégorie d’électeurs cultivés, bien informés, progressistes, a été scandalisée par les innombrables fraudes révélées sur la Toile russe le jour même des élections. Les autorités ont nié en bloc en affirmant que toutes ces accusations étaient erronées et les vidéos truquées. Il est évident que les images, divulguées en partie par les observateurs chargés de veiller au bon déroulement du scrutin, méritaient au moins une enquête.


Le cas de Moscou et de Saint-Pétersbourg est en particulier révoltant. Contrairement aux autres régions, où la différence était moins flagrante, dans ces deux villes les plus importantes, les sondages de sortie des urnes divergeaient de plus de 15% avec les résultats officiels, en faveur de Russie unie.


L’opposition a surtout bénéficié des voix exprimées contre Russie unie. Or, la révolution ne se fait pas en votant « contre ». Ni sur la base d’une foule hétéroclite de nationalistes, d’anar­chistes et de jeunes dont les manifestations ne peuvent engendrer qu’une contestation au coup par coup, vite essoufflée. Cette opposition ne repose sur aucun système et manque d’un chef de file capable de coordonner l’action des insatisfaits. Un tel vide est un facteur démotivant de plus pour une société civile depuis longtemps caractérisée par une apathie politique et l’incapacité de se rassembler pour faire front commun.


Encore un détail, de nature purement démographique : comparée aux pays arabes qui ont fait souffler un vent de révolte avec leur « printemps arabe », la Russie est un pays « vieux », avec un âge moyen de près de 40 ans, contre 20 en Égypte. Avec l’âge, on est moins tenté de descendre dans la rue. Et puis, la jeune génération russe a beaucoup plus de perspectives d’avenir que la jeunesse du Proche-Orient dans des pays comme l’Égypte, la Syrie ou le Yémen.

Gueorgui Bovt, correspondant politique basé à Moscou.

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