Journée électorale en Russie

Les gens passent une dizaine de minutes à essayer de comprendre à qui ils donnent leur voix. Crédits photo : RIA Novosti

Les gens passent une dizaine de minutes à essayer de comprendre à qui ils donnent leur voix. Crédits photo : RIA Novosti

 

Dans la rue il fait 1 degré au-dessus de zéro, il y a de l'humidité et du vent. J'attends un taxi pour aller de chez moi à Khimki, près de Moscou, à l'école d'art pour enfants où se trouve mon bureau de vote.

En Russie, chaque électeur est strictement rattaché à son lieu de résidence et ne peut voter que là où il est enregistré par le service des migrations ou la police. Souvent, ces adresses ne correspondent pas ou l’électeur ne peut tout simplement pas être à son domicile, car il est en déplacement. Pour voter, il faut donc obtenir un certificat de transfert. Afin d'obtenir le mien, j'ai dû aller à Khimki en prenant un train de banlieue qui met plus d’une heure, puis me rendre en métro jusqu'à « mon » quartier.

Mon colocataire s’est retrouvé dans une situation plus cocasse. En raison de son déménagement, il était considéré comme une personne sans domicile fixe. Tous ces « clochards » portant de beaux vêtements à la mode et munis de smartphones votaient au centre-ville, à l'intérieur du Bureau central des télégraphes. Mon ami photographe transportait en voiture à travers la capitale tous ceux qui avaient oublié leur certificat de transfert et ne pouvaient pas voter à leur adresse d'enregistrement.

« Qu'est-ce que vous allez faire là-bas ? », me demande le chauffeur de taxi après avoir parcouru quelques pâtés de maison dans la boue hivernale. « C’est pour les élections », lui réponds-je, en tentant de me faire entendre malgré la musique à la radio.

« Les élections ? » s’exclame-t-il.

« Oui, les élections. À la Douma ».

« Ah quoi bon ! De toute façon, ils vont tout décider à votre place », me répond-il avant de prendre le billet que je lui prends et de mettre les gaz vers d'autres destinations.

L'école d'art est située dans un ancien cinéma. Sur la scène, il y a les tables des membres de la commission, des isoloirs et des urnes. Les rangs des spectateurs sont occupés par la police, le ministère des Situations d'urgence et plusieurs observateurs, y compris ceux du parti Russie unie. Les opinions politiques de ces derniers, contrairement aux autres, pouvaient être découvertes à l'avance : l'emblème du parti occupait  tout l'espace de son assez gros badge. Le vote se passe dans le calme, la plupart des observateurs dorment. On ne constate pas ici les violations électorales les plus répandues, à savoir le renvoi des observateurs et l'interdiction des photos et vidéos. Tous les travaux de la commission sont fixés par une caméra, située dans la salle des spectateurs.

En attendant mon tour, je consulte Twitter. La plupart des sites internet ont été piratés et ne fonctionnent pas, les réseaux sociaux sont donc devenus la seule source d'information. Quelque part dans l'Est de la Russie, les bureaux de vote sont déjà fermés, dans l'Oural les passants ont arrêté un bus transportant des jeunes qui allaient voter en masse, à Moscou un journaliste que je connais à témoigné d’un cas de bourrage d'urnes.

«  Je ne comprends pas pourquoi toutes ces violations, me dit un membre de la commission qui la présidait autrefois puisqu’elles toutes ces infractions, le cas échéant, se produisent dans les commissions territoriales, municipales et plus haut. » Mais on nous a dit cette année de nous détendre. Ils ont assuré qu'il n'y aurait pas de fraudes.

Les violations sont toujours un casse-tête pour les membres des commissions électorales. Ce sont pour la plupart des professeurs qui reçoivent les électeurs dans leurs écoles. Ils le font pour arrondir leur fin de mois et reçoivent des consignes strictes avant chaque élection. Parfois même à deux reprises.

« La participation est élevée ? » je demande à la présidente de la commission.

« Près de 100% », ment-elle pour une raison qui m'échappe, en essayant de cacher une feuille sur laquelle figure le taux de participation. Nous sommes en soirée, et moins de la moitié des électeurs sont venus. Cela peut se comprendre. Premièrement, les Russes sont assez apolitiques et, comme mon chauffeur de taxi, ils n’ont pas confiance dans le processus électoral. Deuxièmement, la météo à Khimki est dissuasive. Toute la matinée, le blizzard sifflait à l'extérieur et les rues étaient complètement vides.

On me donne un bulletin à remplir. Ma copine en reçoit quatre. Elle est enregistrée à Khimki, et elle doit élire les députés du Conseil régional et municipal de Khimki. Lors de certaines élections, on vote avec deux bulletins de vote, et il est assez facile de s'emmêler. On entend des soupirs provenant de l'isoloir. Les gens passent une dizaine de minutes à essayer de comprendre à qui ils donnent leur voix.

J'attends mon tour en lisant les sondages sortie des urnes. Russie unie passe partout, mais ne gagne pas la majorité constitutionnelle. J'imagine la Douma du début des années 1990 avec ses bagarres, ses crises et l'excitation politique. Je regarde mon téléphone et je vois que des pirates ont hacké plusieurs autres sites d'information.

Les élections de 2007, malgré un certain succès des protestations (les marches du désaccord) et le souvenir encore vif de la Révolution orange en Ukraine, n'étaient pas aussi tendues. D'ailleurs, l'attaque contre les sites d'opposition n'est pas une surprise. À Moscou, comme le rapportent les utilisateurs des réseaux sociaux, l'opposition mène une action de protestation, mais à Khimki, il n'y a pas un chat. Le blizzard commence à se lever, personne n’est prêt à sortir. A 21h (heure de Moscou) les élections s'achèvent, les bureaux ferment à Kaliningrad.

A minuit, j'allume la télé. Sur la plupart des chaînes de télévision, on voit des images prises dans les sièges des partis et de la commission électorale centrale. Les politiciens nous disent ce qu'ils pensent des élections, et des membres de la CEC annoncent les résultats préliminaires.

Les résultats définitifs ne seront annoncés que le 24 décembre, la veille de Noël catholique. Toutefois, selon des résultats provisoires, la Douma ne comportera que quatre partis politiques sur sept : Russie unie (avec au moins 50%), Russie juste, les libéraux-démocrates et les communistes.

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