Image de Sergei Yolkin
Un handicap pour l’économie russe
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Felix Goryounov est un journaliste économique |
Mieux vaut tard que jamais. Telle pourrait être la réaction des investisseurs et hommes d’affaires à l’Ouest comme à l’Est à l’annonce que la Russie arrive au terme d’un parcours de 18 années pour intégrer l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). L ’entrée de la Russie sera ratifiée par le Conseil général de l’OMC à la mi-décembre.
Le long marathon de l’adhésion n’a toutefois pas été inutile. Les termes
arrachés par les négociateurs russes à leurs partenaires sont largement
favorables à la Russie. Ils assurent un accès sans discrimination des produits
russes aux marchés étrangers, ce qui s’appelle en langage international statut
« de la nation la plus favorisée ».
La Russie peut aussi avoir recours au mécanisme de règlement des litiges de l’OMC. L’adhésion va créer un climat plus favorable aux investissements étrangers en Russie, et inversement, ouvrir pour les investisseurs russes les marchés des pays membres de l’organisation.
Mais il serait imprudent de dire que « tout est bien qui finit bien ». L’économie russe n’est pas compétitive et l’adhésion à l’OMC n’y changera rien. La base des exportations russes se détériore progressivement. Un rapport de la Banque mondiale explique : « Le pétrole et le gaz composaient moins de la moitié des exportations totales en 2000. En dix ans, ce chiffre est passé aux deux tiers, 15% sont représentés par d’autres minéraux, et 9% seulement de haute technologie, essentiellement dans l’industrie militaire ». Depuis vingt ans le Kremlin parle de diversifier et de moderniser l’économie, mais celle-ci repose toujours sur les industries d’extraction. Les revenus pétroliers composent la moitié du budget fédéral. En adhérant à l’OMC, la Russie accepte son rôle secondaire dans la division internationale du travail en tant que fournisseur de matières premières.
Le Premier ministre Vladimir Poutine a expliqué que la Russie avait besoin de l’OMC pour éliminer ses pertes de revenus sur les exportations qui s’élèvent à 1,8 milliards d’euros annuellement. Mais les principaux perdants sont les magnats de l’acier et des métaux non ferreux, qui ont poussé le Kremlin à rejoindre l’OMC, tandis que leurs oligopoles n’ont rien fait pour aider leurs entreprises à affronter la concurrence internationale. La majeure partie des firmes industrielles, agricoles et de service russes, sans parler des petites entreprises, ne sont pas compétitives, même sur le marché local. Sans un soutien étatique fort, interdit par les règles de l’OMC, elles seront perdantes.
La corruption endémique a placé les entreprises russes sous un double impôt qui les rend non compétitives dès le départ. Et nombre d’entrepreneurs sont des proies faciles pour les bureaucrates et les policiers qui exigent une part du gâteau ou des pots-de-vin en échange de leur protection. Cette pratique empêche les grandes compagnies de distribuer leurs produits à l’échelle nationale, parce que les fonctionnaires des régions privilégient les entreprises locales.
Rien de surprenant à ce qu’un tel climat entraîne une fuite des capitaux. La Banque centrale de Russie estime que cette année, 70 milliards d’euros auront quitté le pays, s’ajoutant au trillion d’euros partis depuis le début des années 1990.
L’économie russe a désespérément besoin d’un soutien beaucoup plus fort à l’entreprenariat national. Et ce besoin est beaucoup plus urgent que les avantages procurés par une entrée au sein de l’OMC.
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Des avantages immatériels
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Andreï Netchaïev, Itogui Ministre russe de l’Économie du 1992 au 1993 |
Tentons de démêler les avantages et les inconvénients de cette adhésion à l’OMC sans céder aux émotions. Il faudra définitivement faire une croix sur les méthodes primitives de la politique douanière telles que les droits prohibitifs sur les importations de voitures étrangères ou la réglementation administrative directe des investissements étrangers et des importations. Leur longue utilisation n’a pas sorti l’industrie automobile nationale de son état comateux.
Le climat d’investissement favorable ne s’obtient pas par une limitation
artificielle de la concurrence. Il voit le jour grâce à la protection des
droits de propriété, à l’indépendance et au professionnalisme du système
judiciaire, au refus de toute substitution du « racket fiscal » à
l’administration fiscale, à une réduction cardinale du fardeau administratif et
bureaucratique pesant sur les entreprises et les citoyens, à un recul de la
corruption ainsi qu’à d’autres mesures connues mais encore loin d’être adoptées
chez nous.
Bien sûr, l’entrée à l’OMC signifie que la concurrence avec les importations
sur le marché intérieur pour certains secteurs de l’économie russe va
s’accentuer, mais les consommateurs en bénéficieront. Dans le même temps, on
notera une amélioration des conditions pour l’exportation des marchandises
russes et nos investissements à l’étranger, ainsi que pour l’afflux
d’investissements directs en Russie, ce qui constitue une condition importante
de la modernisation.
On sait que les méthodes de réglementation et de protection du marché intérieur
ne se limitent pas aux droits de douane ou aux barrières administratives. Les
pays jugeant nécessaire une protection supplémentaire de leur propre marché
trouvent des arrangements. Un exemple classique est celui de la Chine, qui est
parvenue à maintenir un système de fixation du cours de sa monnaie nationale
non fondé sur la réalité des marché.
Notons que les exigences qui nous ont été formulées pendant la phase finale des
négociations d’adhésion ne sont pas si dures. Nous avons besoin comme de l’air
de la protection de la propriété intellectuelle. Sans elle, inutile de compter
sur une économie de l’innovation.
Cela dit, il ne faut pas exagérer le bénéfice d’une adhésion à l’OMC. La possibilité
d’utiliser ses mécanismes pour contrebalancer les restrictions frappant les
exportateurs russes sous forme de procédures anti-dumping, de quotas
d’importation et d’autres mesures, nous fourniront des avantages directs se
chiffrant entre 2,5 à 4 milliards. Cela profitera principalement à la
métallurgie, aux fabricants d’engrais, aux exportateurs de céréales. Les
exportations de produits à haute technologie se résument essentiellement au
matériel militaire livré aux pays du tiers monde.
Mais le principal, ce ne sont bien sûr pas les avantages matériels immédiats
des exportateurs : c’est l’accès à l’élaboration de règles communes de
fonctionnement de l’économie mondiale et du commerce international, qui est la
raison d’être de l’Organisation. Finalement, ce n’est pas une coïncidence si le
nombre de membres de l’OMC est comparable à celui des États appartenant à
l’ONU. D’ailleurs, aucun membre n’a jamais quitté l’Organisation.
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