Un combat pour sauver la mer d’Aral

Crédits photo : AFR/EASTINEWS

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Autrefois quatrième plus grand lac du monde, la mer d'Aral est aujourd'hui une image désastreuse de l'irresponsabilité humaine.

Photos : LAIF/Vostock photo; Reuters; AFP/Eastnews; Itar Tass 


Coincé entre la politique donnant la priorité au coton, qui a entraîné l’assèchement de la mer d’Aral, et l’effondrement de l’Union soviétique, le scientifique russe Nicolaï Aladine a été obligé d’effectuer ses recherches en secret depuis 1978. Son travail a cependant influencé ceux qui tentent aujourd'hui de faire revivre la partie nord de la mer.


Nicolaï Aladine s’approche de l’épave d’un petit bateau rouillé où les mots « Otto Shmidt » sont encore lisibles sur la proue. Tout autour, on peut marcher sur ce qui constituait par le passé le fond de la mer d’Aral, qui s’étend désormais à l'horizon et se confond avec le désert qui l’entoure.

Ce navire de recherche doit son nom au célèbre scientifique russe qui a exploré l’Arctique dans les années 1930. En 1996, lors d’une dernière croisière financée par des subsides japonais, il était le dernier à naviguer encore sur la mer d'Aral . « J’ai effectué 25 expéditions sur ce bateau » , indique Aladine d’une voix puissante. Professeur à l’Institut de zoologie de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, Aladine a étudié la mer d’Aral plus longtemps que n’importe qui. Il la découvre en 1978 quand, prenant des va­cances après avoir défendu sa thèse, il se rend à Aralsk, le port du Nord, pour faire de la plongée.


Quatrième plus grand lac du monde, la mer d'Aral est située dans le désert à l’Est de la mer Caspienne - Aral signifie « île » en kazakh. Elle est alimentée par les deux plus grands fleuves coulant vers l’Ouest de l’Asie centrale, le Syr-Daria et l’Amou-Daria, dont les eaux proviennent des glaciers des montagnes du Pamir, voisines de l’Himalaya. Mais à partir de 1960, les autorités soviétiques commencent à détourner l’eau des deux fleuves pour produire du coton, en sachant pertinemment que la mer disparaîtrait.


« Lorsque je suis arrivé à Aralsk » , se rappelle Aladine, « le port était asséché et la mer à plus de 30 km» . De retour à Saint-Pétersbourg, il réalise que les autorités essaient d’empêcher les études sur les conséquences de leur politique pour l’écologie et les populations locales. Aladine était parfois autorisé à lire les conclusions de ses recherches, pas à les publier.


Tout change avec la « glasnost ». Mais peu de temps après, l’Union soviétique s’effondre et ce qui restait d’Aral – trois lacs – est divisé par la frontière entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Les autorités scientifiques russes se désintéressent du problème et enjoignent à Aladine d' « étudier la Caspienne » , ce qu'il est obligé de faire.


En 1993, il convainc un gouverneur kazakh de construire, avec une poignée de bulldozers et peu d’expertise, une digue rudimentaire pour garder l’eau du Syr-Daria dans la partie nord de l’Aral. Résultat : la salinité baisse et certains poissons reviennent. Mais la digue se fissure chaque fois que le niveau de l’eau monte. La Banque mondiale décide finalement de financer la construction d’une digue en terre et d’une écluse en béton de près de 13 km , très efficaces. Dès 2005, la digue est achevée et permet d’accumuler l’eau dans la mer et de restaurer progressivement les écosystèmes originaux.

Six ans plus tard, la quantité de poissons est passée de 3 500 à ­18 000 tonnes, selon Zaualkhan Iermakhanov, responsable du secteur local de la pêche. Les pêcheurs attrapent 6 000 tonnes de poisson par an en utilisant des filets rudimentaires. Les villages de la région construisent de nouvelles maisons, des écoles et des an­tennes satellite, et une usine de transformation du poisson à Aralsk a permis de créer 41 emplois.


« Le premier barrage était expérimental » , indique Aladine. « Nous voulions prouver que les désastres perpétrés par l’homme pouvaient être réparés par l’homme. Je suis très fier qu’ils aient construit une digue efficace » . Aujourd’hui, le gouvernement kazakh, financièrement à l'aise grâce à ses pétrodollars, envisage d’accélérer la réhabilitation de la mer d’Aral. Deux plans sont à l’étude. Dans le premier, on envisage d’élever la digue de Kokaral pour que le niveau de la mer augmente d’environ 6 ­mètres, étendant sa surface de 5 500 km 2 à plus de 8 000 km 2 . L’autre plan consiste à creuser un canal au Nord qui détournerait le Syr-Daria pour ramener la mer à Aralsk, rendant à la ville son rôle de port. Aladine, qui continue à se rendre tous les ans dans l’Aral, participe à des conférences scientifiques où il presse d’adopter les deux plans l’un après l’autre.


Évolution du niveau de la mer d'Aral

Image de Niyaz Karim

Avant 1960, la mer d’Aral occupait une superficie de 67 000 km2. Elle fournissait 50 000 tonnes de poisson par an. Le secteur de la pêche employait alors 60 000 personnes. Près de 5 millions d’hectares de terres sont cultivées en amont.


1960 : Moscou augmente massivement l’irrigation et veut transformer la mer en un lac d’eau salée, partant du principe que le coton vaut 100 fois plus que le poisson.


1987 : la superficie de la mer a diminué de deux tiers. La surface irriguée a doublé, la salinité a triplé, le secteur de la pêche a disparu. Les maladies intestinales et cancers de la gorge se multiplient.


2011 : le Nord de l’Aral, dont la superficie est aujourd’hui de 3 300 km 2 , a été ramené à la vie grâce à une digue qui a permis une chute de la salinité et le retour d’une vingtaine d’espèces de poissons.

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