Un médecin pas comme les autres

Crédits photo : Alexei Loukine

Crédits photo : Alexei Loukine

Le pédiatre et oncologue Igor Dolgopolov a une vision bien tranchée de sa profession et des méthodes thérapeutiques. Il nous révèle pourquoi les normes de médecine n’existent pas en Russie et nous met en garde contre les déviances du caritatif.

 

Age : 43 ans

Formation : Diplômé du Premier Institut de médecine de Moscou ; stagiaire à l’Université de Rouen, France

Profession : chef du département de greffe de moelle osseuse du Centre scientifique d’oncologie de Russie, médecin pédiatre.

Titres et nominations : Docteur en sciences médicales, collaborateur scientifique du Centre scientifique d’oncologie, membre de la Société Françaised'Oncologie Pédiatrique (SFOP)

 

Vous avez travaillé en Russie et en France. Quelles sont les différences dans les approches des deux pays ?

En France, comme dans les pays occidentaux en général, il existe des normes de médecine. Chaque médecin sait comment réagir dans un cas de figure donné. En Russie, ça n’existe pas. Chacun soigne comme il l’entend à son niveau. Moi, je m’en tiens aux normes occidentales et à celles dictées par mon expérience. Encore une différence de taille : en France, le médecin est considéré comme un membre de la famille, un peu comme l'étaient les médecins de campagne. Ils savent tout de leurs patients, leurs particularités, leurs petits secrets. J’ai le même rapport avec mes patients. Je suis pédiatre, mais dans notre pays, on ne peut pas s’en tenir à ça et je consulte évidemment les parents, la famille et les proches parce qu’ils me font confiance. Et puis mes premiers patients ont grandi et viennent maintenant en consultation avec leurs propres enfants.

Vous êtes issus d’une famille de médecins ?

Oui. Deux générations de médecins m’ont précédé, des chirurgiens militaires. Et mes deux fils aînés, de 10 et 14 ans veulent aussi devenir médecins. J’espère qu’ils changeront d’avis. D’ailleurs, quand je me suis inscrit en Médecine en 1984, mes parents étaient contre.

Pourquoi ?

Ils disaient qu’il n’y avait pas d’argent et rien à y gagner. Mon grand-père était le seul à me dire :  « Vas-y, fiston. Les docteurs, il y en a besoin même en prison ». C’est sur ce bon mot que je me suis inscrit en Médecine. Pourtant, on voyait bien que ça commençait à s’effondrer.

 

Comment vous êtes-vous retrouvés en France ?

Un vrai conte de fée ! J’étais en troisième année, et je suis tombé à la télévision sur la poignée de main entre Gorbatchev et Mitterrand et la voix du commentateur : « Le gouvernement français met à disposition 200 bourses aux étudiants russes ». Le lendemain, avec un ami, nous sommes allés remplir des formulaires au Consulat français et trois mois plus tard, nous étions invités en tant qu'auditeurs libres à l’Université de Rouen. C’était juste au moment de la chute du régime soviétique. A l’Université de Moscou, on m’a reproché : « Qu’est ce que tu fais ? Tu vas dans le camp ennemi ! Et tu te dis membre du Parti ! » Et moi, je faisais mon crétin : « Et Gorbachev au journal de 20h, j’ai mal entendu ou quoi ? » En bref, un semaine plus tard, on me donnait mon billet et mon passeport. J’ai fait une année à Rouen, je suis revenu terminer mes études à Moscou et je suis reparti à Rouen en stage.

Pourquoi êtes-vous revenu la deuxième fois si la médecine était en train de s’effondrer ?

 

J’ai décidé qu’ici je pourrais obtenir les mêmes résultats qu’en France mais plus rapidement. La langue, les habitudes, les relations, les amis banquiers ou bandits (ce qui revenait au même). De plus, les français émigrent rarement et n’apprécient pas trop les immigrés. Quand tu viens étudier, toutes les portes te sont ouvertes, mais si tu veux rester, ils te considèrent comme leur concurrent. En tant qu'étudiant, j’assistais à tous les congrès, ils m’emmenaient partout, m’expliquaient tout.

 

Par la suite, vous avez regretté votre retour en Russie ?

Difficile à dire. A mon retour la situation était critique : plus d’argent, les patients venaient avec leurs seringues et leurs draps. On n’était pas payés pendant 2 ou 3 mois. Les plus intelligents ont alors quitté la médecine pour les affaires. Les plus entreprenants, ceux qui avaient quelque chose dans la tête.  C’est pour ça qu’il ne reste que si peu de bons médecins. Ceux qui sont restés sont les vieux et les étudiants « passables ». Et maintenant, ce sont eux qui dirigent les hôpitaux, et l’esprit « passable » demeure.

 

Pourquoi êtes-vous resté dans ces conditions ?

Je ne sais pas. Complexe de toute-puissance sûrement, et peut-être la flemme. Et puis, c’est dur d’abandonner ce que tu sais faire le mieux. D’abord, mes amis voulaient que je travaille dans leurs banques ou leurs sociétés, puis, quand ils ont eu leurs enfants, ils ont commencé à me payer pour rester docteur. Bientôt, il n’y avait plus de raison de partir car il y avait du travail. Ça ne veut pas dire que je ne partirai jamais. J’ai quatre enfants et un cinquième prévu pour fin novembre. Où vont-ils étudier ? Ici l’enseignement est mort, tout comme la médecine. Je ne dis pas qu’ils ne travailleront pas en Russie, mais ils doivent avoir un vrai diplôme. Mais comment parler de travail, s’il n’y a aucune possibilité d’ascension sociale. D’accord, tu as un diplôme, et après ? Toutes les bonnes places sont prises. Le fils de Petrouchev a 24 ans, est à la tête de Rosselkhozbank et n’est pas prêt à en bouger. C’est pour ça que les gens ne savent plus travailler, ils ne veulent pas être des professionnels. La plupart ne veulent rien du tout, ils ne voient pas de perspectives. Certains rêvent de devenir fonctionnaire pour voler dans les caisses de l’Etat. Il y a une vraie perte de respect de soi, vous comprenez ? Le respect de soi, c’est pour ça que je suis resté dans la médecine. C’est essentiel. Et le respect de tes enfants. Et c’est pour ça que ceux qui truandent s’achètent des diplômes et des doctorats. Pour se faire respecter. Tout ça parce que le pouvoir est aux mains des « passables ». Les « passables » c’est pire que les cancres.

Selon vous, que peut-on changer en médecine de façon concrète ?

On doit mettre en place de véritables normes de médecine et responsabiliser les médecins pour qu’ils aient peur pour leur réputation. Parmi les docteurs, il y a autant d’imbéciles que dans n’importe quelle autre profession, c’est à dire près de 97%. S’il y a de bonnes normes établies par des médecins sensés, alors même un mauvais médecin pourra soigner correctement. J’ai moi-même rédigé quelques normes, entre autres sur le neuroblastome (tumeur maligne du système nerveux, ndlr). J’ai tout calculé au mieux mais le résultat était cinq fois plus élevé que ce que voudrait le Ministère de la Santé. La norme n’a pas été validée. Certains rédigent pour correspondre aux attentes du Ministère, des normes thérapeutiques cinq ou dix fois moins coûteuses, mais elles ne sont pas réalistes.

Pourtant, il y a bien des associations caritatives qui arrivent à récolter assez d’argent pour soigner correctement ?

Les donations sont un thème à part et loin d’être positif. Je connais des familles qui, sous prétexte d’enfants malades, achètent avec l’argent récolté de l’immobilier à Moscou et des résidences secondaires. Ils récoltent l’argent, se soignent un temps, puis aux premiers signes de rémission achètent un appartement. Trois ans plus tard : récidive et on recommence. Tout ça parce que l’argent est versé directement sur le compte des parents. De plus, ça contribue à pervertir les hauts fonctionnaires, au lieu de sortir cet argent du budget, ils s’en remettent aux dons.

Mais il existe bien un véritable système de donations qui fonctionne autrement ?

Oui, partout dans le monde, les oeuvres caritatives fonctionnent par le biais de fondations qui fournissent la somme destinée aux soins le moment voulu. Le temps de réaction est un facteur essentiel : parfois, si je ne commence pas à soigner dès le lendemain, l’enfant risque de mourir. Si on récolte cet argent dans deux mois, il sera peut-être trop tard. Il doit y avoir une réserve d’argent disponible. Les gens doivent donner non pas pour un cas précis mais à une fondation. Ce sont les bases d’une oeuvre caritative efficace.

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