Crédits photo : Itar-TASS.
L’idée principale est d’obliger les femmes à payer pour avorter. En d’autres termes, c’est encore un moyen de réduire les dépenses publiques. Clairement, l’État ne se préoccupe ni de la santé des mères ni des droits des enfants et a trouvé une façon de s’affranchir, une fois de plus, de ses obligations sociales.
La proposition la plus odieuse en discussion est certainement celle d’obliger les femmes mariées à obtenir une autorisation écrite de la part de leur maris, ou, pour les mineures, de leurs parents ou tuteur légal. Déjà, les femmes sont soumises économiquement à leurs familles et partenaires. Plutôt que d’essayer de changer cette situation, les députés proposent de la légaliser. Mais dans les cas où les femmes ne pourront pas obtenir de permission, elles se tourneront vers des cliniques clandestines.
Les auteurs de la loi proposent un « délai de rétractation » obligatoire entre la demande d’une interruption volontaire de grossesse (IVG) et son exécution. Ce qui réduit les possibilités d’utiliser des méthodes moins périlleuses et augmente les risques de complication postopératoires.
Mais l’État et l’Église n’ont pas l’intention de laisser les femmes à leurs pensées, pendant cette période. La nouvelle loi les obligera à des consultations psychologiques avant la procédure, afin qu’elles « se rendent compte qu’elles privent intentionnellement de vie l’enfant qui n’est pas encore né ». Les auteurs du document « Recommandations médicales pour les consultations pré-avortement » (déjà approuvé par le ministère de la Santé et du Développement social), employés par la fondation orthodoxe Andreï Pervozvanny, déclarent ouvertement que ces consultations « doivent viser à effrayer les femmes en exagérant les risques des complications post-avortement ». Ils reconnaissent toutefois que des mensonges aussi gros ne pourront avoir d’impact que sur les femmes qui n’ont encore jamais avorté.
Les auteurs des ces « recommandations » proposent de « personnaliser » l’embryon, afin que la femme, au mépris des preuves scientifiques, le considère comme un individu formé. A cette fin, on offre une série de films et de brochures anti-avortement. Cette forme raffinée de torture implique aussi le visionnage d’échographies et l’écoute des battements du cœur du fœtus.
Il y a trois ans, toute « publicité » a été interdite, réduisant de facto l’accessibilité à de l’information fiable sur l’IVG. Aujourd’hui, les députés de la Douma proposent de lancer une campagne pour informer la population de ses conséquences néfastes.
Pour de nombreuses femmes, l’avortement demeure une nécessité, la seule véritable alternative étant la contraception et une éducation sexuelle accessible à tous, fondée sur la science et non des textes religieux. Mais au lieu de cela on a introduit dans les écoles les « fondements de la culture orthodoxe » qui enseigne des valeurs patriarcales archaïques. Résultat, les adolescents n’obtiennent pas l’information nécessaire, ou alors elle leur est fournie par leurs camarades de classe, aux coins des rues ou par la pornographie.
Les statistiques montrent que les filles qui ont reçu une éducation religieuse n’ont pas des rapports sexuels plus tardifs ou moins fréquents. La seule vraie différence, c’est qu’elles ne comprennent rien à la sexualité et à la contraception. Le tabou sacré sur les débats autour de la vie sexuelle se solde par des expériences sexuelles précoces et non désirées, l’insatisfaction et la frigidité, voire des grosses involontaires après agression sexuelle.
Les études sociologiques et démographiques révèlent qu’après toute interdiction des IVG, leur nombre ne chute que dans un premier temps très court, avant de recommencer à grimper avec, désormais, un recours aux cliniques illégales et clandestines. Les taux de mortalité maternelle et d’infertilité augmentent aussi, conséquences des complications après de telles interventions. La barbarie de ces méthodes et le désespoir des femmes qui y ont recours sont illustrés par le célèbre symbole de l’avortement illicite, le cintre en fil de fer.
Mais l’éducation sexuelle à elle seule ne suffit pas. Les femmes sont poussées à l’avortement par des facteurs économiques : chômage, bas salaires et allocations, manque de garanties sociales et d’un système de santé gratuit et de qualité. Qui plus est, le principal problème démographique n’est pas tant la chute de la natalité qu’une mortalité invariablement élevée, due à un niveau de vie bas.
Cette créativité législative se déroule sur fond d’autres initiatives pour réduire la dépense publique. La médecine, l’éducation, la science et la culture sont contraints de s’autofinancer. Les aides pour femmes enceintes et jeunes mères sont diminuées, ainsi que les subsides aux parents d’enfants malades.
Les femmes enceintes ont du mal à conserver leur emploi ou en retrouver. Les réductions des allocations les forcent à accepter des emplois durs et sous-payés, ou les rendent totalement dépendantes de leurs maris. Si les garderies, maternelles et cliniques deviennent payantes, les mères devront se charger de ces tâches elles-mêmes, ou trouver du travail supplémentaire.
Les femmes doivent jouir du droit inaliénable de recevoir de bons soins médicaux gratuits, y compris l’IVG, de l’information fiable, une éducation sexuelle, et une contraception accessible et moderne. Dans le même temps, il faut lutter contre les coupes budgétaires et les attaques contre la sphère sociale, pour que les femmes aient non seulement le droit d’avorter, mais aussi la possibilité de l’éviter.
Jenia Otto est une militante socialiste et féministe, à Moscou.
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