Crédits photo : RIA-Novosti.
La France est l’un des premiers et plus anciens partenaires économiques et politiques de la Russie en Europe et dans le monde. Le président français Nicolas Sarkozy s’est non seulement posé en médiateur entre la Russie et la Géorgie, mais grâce à des relations amicales entretenues avec Dmitri Medvedev, il a pu assurer la conclusion du plus gros contrat militaire encore jamais réalisé par la Russie avec un pays étranger, soit l’achat de quatre hélicoptères Mistral pour une valeur de 1,2 milliards d’euros. Ces dernières années, les entreprises privées françaises ont également intensifié leurs activités en Russie : elles y construisent des routes, des aéroports, des avions et des hélicoptères, et développent des stations balnéaires. Et quant à savoir pourquoi, malgré les scandales et problèmes liés au climat d’investissement, la France vise à accroître sa présence au sein de l’économie russe, Jean-Pierre Thomas a volontiers répondu aux interrogations des journalistes du quotidien économiqueVedomosti.
Quels sont les avantages, selon le gouvernement français, de la coopération économique avec la Russie par rapport aux autres pays ? En Russie, certains pensent que la France cherche uniquement à élargir l’étendue de son marché.
De très bons rapports politiques se sont tissés entre nos deux pays. C’est très important pour la coopération économique. La Russie a aujourd’hui besoin d’une bonne infrastructure et de technologies. Et la France peut satisfaire ces besoins. Le but de notre coopération est de créer des entreprises modernes pour la production de biens et services capables non seulement de répondre aux besoins des consommateurs russes, mais aussi de concurrencer les produits d’autres pays sur le marché mondial.
Dans quels domaines les entreprises franco-russes seraient-elles à même de créer un produit capable de concurrencer le marché mondial ?
La construction d’hélicoptères, la médecine ou l’électronique. Le consortium EADS, qui produit des Airbus, mène déjà des négociations avec la société Hélicoptères de Russie sur le développement d’une production commune. Sanofi pourrait se lancer dans de nouveaux projets avec les laboratoires pharmaceutiques russes, et SF SR, coopérer dans la sphère de production des composants électroniques. Ces projets sont en cours de négociation et d’évaluation en vue d’une coopération.
Quel pays européen est-il le plus gros concurrent pour la France, en matière de coopération économique bilatérale avec la Russie ? Par exemple, lors de la dernière visite de Dmitri Medvedev à Rome, Silvio Berlusconi a déclaré que l’Italie se battra pour devenir le troisième, et non le quatrième partenaire de la Russie en termes de volume.
La concurrence entre les entreprises européennes et les pays pour une coopération avec la Russie existe bien sûr. Et c’est normal. Mais nos principaux concurrents sont l’Inde, la Chine et les Etats-Unis. A mon avis, c’est cette concurrence mondiale qui nous conduira à l’impossibilité, pour la France, de continuer à produire seul son avion, et la Russie, le sien. Il sera alors indispensable de se regrouper. Le continent américain et l’Asie le font déjà. Et l’Europe est en pleine hésitation. Aujourd’hui, nous menons des négociations internationales sur cette question. En ce sens, la communauté européenne interagit très mal, et chacun tire la couverture à soi. Ce qui est très dangereux. La concurrence entre les entreprises, c’est bien, mais au niveau du marché mondial, les pays de l’Union européenne doivent être unis.
Peut-on dire que la France est le principal pays qui agit en faveur d’une adhésion de la Russie à l’espace économique européen ?
La France est, sans aucun doute, un catalyseur de ce mouvement. Comme on dit, le français n’est pas seulement la langue officielle de la nation française, c’est aussi la langue de la diplomatie. Historiquement, nous avons toujours eu des liens très forts. Les Français aiment la Russie. Les dirigeants de la Russie et de la France l’ont maintes fois déclaré publiquement, et nous sommes prêts à promouvoir ce projet. À l’automne, je dois soumettre au président Nicolas Sarkozy un rapport avec des propositions concrètes : ce qu’il faut faire pour que l’espace économique commun entre la Russie et l’UE devienne réalité.
Quels sont les principaux pays européens qui soutiennent la France dans cette démarche?
L’Allemagne. Ce n’est pas pour rien qu’un format de dialogue spécifique a été créé : Russie-France-Allemagne. C’est justement lors d’une de ces rencontres qui s’est tenue à l’automne 2010, que la création d’un tel espace économique a été officiellement annoncée.
À combien s’élèveront les investissements de la coentreprise franco-russe dans le développement d’un pôle touristique dans le Caucase du Nord ? Quelle sera la contribution de chacune des parties ?
Il est encore trop tôt pour parler chiffres. Les 2 milliards d’euros ne représentent que le capital autorisé de la joint venture. Le montant des investissements français peut dépasser les 15-20 milliards d’euros. Les entreprises françaises intéressées s’uniront pour fonder un consortium autour de la Caisse des Dépôts (banque participant à la coentreprise), et rejoindra la société anonyme Les stations balnéaires du Caucase du Nord, créant ainsi la joint venture. Les investisseurs de ce projet seront connus lors du Forum de Sotchi, dans le cadre duquel seront signés tous les documents nécessaires au projet. Pour l’instant nous avons convenu que la France apportera son expertise, et que le capital proviendra non seulement de Russie et de France, mais aussi des autres pays. Il s’agit tout de même d’un énorme projet.
On parle ici de construire des stations balnéaires, conçues non seulement pour la classe moyenne russe, mais aussi pour des touristes très exigeants, en provenance d’Europe et des Emirats Arabes. Des Allemands, des Français, des Italiens viendront ici parce que le Caucase est un lieu magnifique et nouveau pour eux. L’Europe s’intéresse à ce projet parce qu’elle ne va pas construire que pour la Russie, mais pour elle aussi.
Et en termes d’investissement, le projet coûtera-t-il plus cher que les autres stations construites par les compagnies françaises ?
La construction de stations dans le Caucase du Nord devrait coûter plus cher. La construction, par exemple, de tunnels, est indispensable dans le Caucase, et son coût sera plus élevé que la construction d’une route quasiment plate en Bulgarie. Il va falloir développer les compétences et la formation du personnel. La population locale ne doit pas seulement construire une station, elle doit assurer le service des touristes.
Nous prévoyons de construire quelques centres de formation directement dans les républiques du Caucase du Nord. Ce que les Russes peuvent faire, ils doivent le faire, et les entreprises françaises les aideront en apportant la technologie et l’expérience que la Russie n’a pas. Par exemple, l’installation d’usines de production de neige artificielle.
Combien d’entreprises françaises se sont déjà manifestées pour participer au projet de développement du Caucase du Nord ?
A ce jour, plus de 15 entreprises.
Pensez-vous que ce projet est sans danger pour les investissements ?
Quand on donne du travail aux gens, on leur apporte l’espoir d’un avenir meilleur en respectant leurs traditions locales et leur environnement, alors les questions de sécurité se résolvent d’elles-mêmes. Et si le gouvernement russe garantie la sécurité, nous sommes en droit de le croire. Lorsque nous avons construit des stations balnéaires en Afrique du Sud, nous n’étions absolument sûrs de rien, et pourtant aujourd’hui, tout se passe bien.
Quelles garanties la Russie vous a-t-elle fournies pour assurer la sécurité des investissements des compagnies françaises?
Les détails sont encore à l’étude.
Si la Russie garantie le retour des investissements français à 70% en cas de force majeure, les entreprises françaises seront-elles satisfaites ?
Oui, ce sont de bonnes conditions.
De nombreux pays européens renoncent aujourd’hui à l’énergie atomique. La France soutient-elle les initiatives de Dmitri Medvedev annoncées lors du G8 à Deauville dans le domaine de la sécurité nucléaire ?
C’est justement un très bon exemple de l’intérêt russe pour un espace économique commun. L’initiative de Medvedev est très bonne parce qu’elle repose sur une vision commune de la sécurité. A Deauville, tous ont convenu d’augmenter la sécurité de l’énergie atomique. La Russie et la France sont les principaux fournisseurs de technologies nucléaires à travers le monde. Et nous sommes intéressés à créer des initiatives conjointes pour le développement de l’énergie nucléaire en Europe et dans le monde. La France et la Russie doivent travailler ensemble pour diffuser leur savoir-faire dans ce domaine dans le monde entier.
Actuellement, on observe la stagnation de la coopération entre le constructeur aéronautique EADS et la Russie, qui a conduit presque uniquement à l’achat d’avions européens par les compagnies aériennes russes ? Y a-t-il des perspectives de développement de la coopération ?
Je ne suis pas d’accord avec vous. Certaines parties des Airbus sont aujourd’hui produites en Russie. EADS a des centres de recherche en Russie. L’idée est de développer la coopération dans ce sens. Je sais que le président d’EADS est venu en Russie le mois dernier pour renforcer la coopération avec les entreprises russes. C’est un projet paneuropéen. Puisque la Russie achète ces avions, il est normal qu’une partie soit produite ici, une autre, en France, une autre, en Allemagne.
Se peut-il qu’un jour, cette coopération soit telle que les Airbus soient assemblés en Russie ?
Pourquoi pas ?!
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