Il faut anéantir Live Journal

Crédit photo : Nikolay Korolev.

Crédit photo : Nikolay Korolev.

Les internautes russes craignent la disparition de la plateforme populaire de blogs

 Les récentes tribulations du portail russe Live Journal inquiètent la sphère publique russe, dont une grande partie s’exprime sur le site, qui constitue une oasis d’indépendance et un lieu de discussion publique comme il en existe peu en Russie. Ce deuxième coup d’arrêt qui paralyse le fonctionnement de Live Journal sur un si court laps de temps (ces 5 derniers mois, le site a été victime d’attaques cybernétiques à deux reprises, dont une première début avril) a déjà poussé de nombreux blogueurs russes, notamment les plus célèbres, à basculer sur des plateformes de secours. C’est un signal pour tous, qui montre également que la blogosphère reste un espace extrêmement sensible et réactif.

 

La blogosphère russe a ceci de particulier que tous les bloggueurs russes partagent une seule et unique plateforme. Une sorte de cuisine soviétique virtuelle en somme. Un phénomène qui, pas un seul instant, ne semble étonner les spécialistes internationaux des nouveaux médias, pourtant habitués à observer les blogueurs occidentaux qui partagent leurs meilleures idées sur les sites Blogspot et Wordpress, tandis que les réseaux sociaux de type Facebook ou Copains d’avant sont destinés à bavarder, plaisanter et partager ses photos préférées. En Russie, ces deux types d’activités ne forment qu’une seule et grande communauté, où écrivains, musiciens, photographes et artistes côtoient lecteurs, activistes politiques et sociaux, ou encore simples curieux du net, qui viennent discuter et partager leurs points de vue sur la toile.

 

Dans son étude Le débat public dans la blogosphère russe, le centre Berkman pour Internet et la Société de l’Université d’Harvard a synthétisé et analysé le mode de travail des 11 000 groupes les plus actifs, qui mettent régulièrement à jour les blogs et sites en langue russe. Selon les auteurs de ce rapport, les blogueurs russes préfèrent travailler sur une plateforme qui rassemble blogs traditionnels et réseaux sociaux. Quant au site livejournal.com (qui concentre en tout 30 millions de journaux virtuels), c’est justement sur ce type de plateforme que l’on rencontre les discussions socio-politiques les plus libres mais aussi les plus animées. Des débats qui, en Russie, ont depuis longtemps déserté les bancs du Parlement et les médias officiels.

 

Autre particularité relevée par les chercheurs d’Harvard : l’absence de groupes actifs de soutien aux autorités dans la blogosphère russe. Ce soutien, rémunéré, n’est que pure communication. Une activité qui, par ailleurs, n’empêche pas les utilisateurs de s’exprimer librement en se référant à des documents et des sources fiables, et de coordonner des actions. « La blogosphère russophone ne permet pas seulement l’expression d’opinions politiques et de critiques du gouvernement, c’est aussi un lieu pour la mobilisation politique et l’activité sociale », rapportent les auteurs de l’étude.

 

La blogosphère russe est un espace globalement libre, même s’il n’échappe pas totalement au contrôle institutionnel. A l’heure actuelle, la Russie devance la Chine, l’Iran et bien d’autres pays du Proche et Moyen Orient en termes de liberté d’expression sur le Net. Lorsqu'en avril dernier, Freedom House a considéré l’Internet russe comme « partiellement libre », de nombreux internautes ont protesté, affirmant que l’Internet russe était totalement libre. Les attaques des pirates informatiques contre Live Journal serait, selon eux, une tentative de transformer le Net russe de façon à le rendre plus américain.

 

Difficile d’exclure aujourd’hui le problème croissant, pour le pouvoir, de la gestion politique des blogs. Presque toutes les grandes campagnes sociales de ces dernières années (lutte contre la corruption ou pour la libération de prisonniers politiques) ont été menées via les médias sociaux. Selon le fonds Opinion publique (FOM), il y aurait en Russie près de 40 millions d’internautes fréquentant quotidiennement les blogs et les sites. De tels chiffres, à la veille de la campagne présidentielle, accroît bien évidemment la volonté des autorités de contrôler l’Internet russe. Mais le démantèlement d’une plateforme ne signifie pas la destruction du système et de son environnement. Le réseau russe est déjà bien développé, et il a tout à gagner d’une plus grande diversification de ses plateformes.

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