Crédit photo : kinopoisk.ru
Le film Chapiteau-show de Sergueï Loban, qui a reçu un des prix les plus importants du Festival - une statue de Saint-Georges en argent -, recourt à une technologie fondamentalement nouvelle de tournage et à une stylistique cinématographique inédite. Pour mieux comprendre le sens du film et ses particularités, les envoyés spéciaux de La Russie d'Aujourd'hui Alexandre Ganiouchine et Andreï Raskine ont rendu visite au scénariste du film, Marina Potapova.
–Marina, que voulez-vous dire aux spectateurs avec votre film ? Quelle est l'idée principale du scénario ?
MP: Il s'agit de quatre nouvelles intitulées Amour, Amitié, Respect et Coopération. Ces quatre nouvelles se croisent en cours de route, c'est-à-dire que les héros des parties précédentes apparaissent périodiquement dans le cadre des autres volets, bien qu'ils ne le fassent en général qu'en simples figurants, et font, si l’on peut dire, « ricocher » les unes sur les autres l'idée que n'importe quelle tragédie humaine est d'une banalité affligeante non seulement au regard de l'humanité, mais aussi si on la rapporte à tout autre malheur d'ordre privé.
Par amour de la production
–Il faut vraiment aimer intensément la production cinématographique pour travailler six ans sur un film.
MP: – C’est simplement que nous avons passé trois ans à chercher un financement, et je réécrivais périodiquement le scenario. Je trouvais toujours qu'il était imparfait, et qu'il était impossible de filmer ça. Nous sommes allés inspecter les lieux de tournage, et dans ces endroits nous réécrivions le scenario. Les scènes clés du film ont finalement été tournées en Crimée, à Simeïz. Et nous tentions de profiter de tout ce qui se trouvait à cet endroit. Le tournage lui-même n'a duré qu'un seul été, un automne et un hiver.
En outre, le problème était que le calendrier avait été réalisé à partir de l'expérience de notre précédent film, Poussière, lauréat du programme « Perspectives » du XXVIIe festival du film de Moscou. Avec une caméra de poche, nous pouvions facilement nous déplacer dix mètres plus loin pour filmer la scène sous un autre angle. Et cette fois-ci, personne n'a pensé que pour bouger de dix mètres, il fallait une centaine de personnes pour ranger la lumière, les décors, tout fourrer dans la camionnette, puis démonter et installer le tout dix mètres plus loin.
Naturellement, nous avons immédiatement cessé de respecter le calendrier. Et on a commencé à paniquer, par peur que la saison ne se termine. Parce que si on ne respecte pas le calendrier, nous payons un surplus pour la location du matériel. De plus, les scènes tournées dans un compartiment de train se sont avérées d'un coût exorbitant. Il a fallu louer un train à Sébastopol, l'équiper d'un groupe électrogène et rouler sur une voie de garage. Nous n'avons même pas eu le temps de filmer la scène où le père et le fils voyagent dans un train.
A ce moment-là, bien sûr, nous avons excédé le budget alloué. Tous les honoraires qui étaient prévus ont été dépensés pour le tournage. Et quand nous sommes arrivés à Moscou, il n'y avait plus d'argent et nous n'étions pas prêts d'en retrouver. Le premier producteur du film était le célèbre homme d'affaires Alexander Mamout, mais il est tombé à court d'argent en 2008 en raison de la crise. Cependant, nous étions vraiment amoureux de notre œuvre inachevée. C'est certainement pour cela que nous avons trouvé de nouveaux investisseurs.
Amitié avec les distributeurs
–Le film dure trois heures et demi. N'est-il pas risqué de faire une pause en plein milieu ? Votre spectateur peut tout à fait partir à l'entracte…
MP: – Au théâtre, cette pratique existe et elle est justifiée. Rappelez-vous le fameux spectacle Frères et sœurs de Lev Dodine [metteur en scène russe, ndlr], où il n'y avait pas un mais plusieurs entractes. Ou La côte de l'utopie au Théâtre russe de la jeunesse. Le risque est uniquement lié au fait que les cinémas peuvent être intimidés.
Je pense que les perspectives du film sont excellentes, mais la question est de savoir comment vont réagir les distributeurs traditionnels et les propriétaires de réseaux de cinémas. Ils peuvent penser que qu'étant donné qu'auparavant tous les films en deux parties faisaient un flop, alors notre film en deux parties est lui aussi voué à l'échec.
Comme le film expose des sentiments humains et de beaux paysages, et que l'intrigue est capable de retenir l'attention, je pense qu'il existe un public pour cette œuvre. Tout dépend de l'intérêt de l'auditoire, et comme l'a montré l'expérience du Festival International du Film de Moscou, dans la petite salle du cinéma Octobre, les gens étaient littéralement assis les uns sur les autres. Et après la pause, seules quelques personnes ont quitté la salle. Le reste n'a pas abandonné son fauteuil pendant les trois heures et demie.
Les distributeurs peuvent en outre être intimidés par le fait qu'un film comme le nôtre est unique en son genre. Il y a l'arthaus complètement excessif, où rien ne se passe pendant une heure. Tu regardes le personnage manger, et tant qu'il n'a pas fini son assiette, la scène continue. De tels films ne sont bien entendu pas destinés à un public de masse. Et ce qui convient au grand public ne se distingue pratiquement pas des émissions de divertissement, les deux étant produits en général par les mêmes personnes. A quoi bon aller au cinéma si on montre la même chose toute la journée à la télévision… Il n'y a pas de films qui soient intelligents tout en étant amusants.
Coopérer avec le public
–Vous avez pour la première fois recouru à la « production communautaire ». Parlez-nous de cette nouvelle méthode de production.
MP: – C'est très simple. Nous avons créé le site Parapet. Grâce à lui, nous avons essayé de motiver les investisseurs pour qu'ils participent au tournage de notre film. Quand nous allons tourner le film suivant, nous tenterons de faire en sorte que les spectateurs eux-mêmes assurent la totalité des investissements. Bien sûr, on suppose que les personnes qui ont investi dans cette entreprise recevront certaines contreparties. Un pourcentage sur les profits, une chance de participer aux tournages, ou une mention spéciale dans le générique.
A l'ouest, les expériences similaires, comme kickstarter, recueillent des budgets plus importants, permettant de lancer de grands projets. Cela tient surtout à l'implantation plus solide de l'argent électronique. Le fait est que l'ancien schéma selon lequel tout le monde travaille quand le producteur décide que « les gens vont gober », et que « les gens gobent » ce qu'invente le producteur, est devenu obsolète. Si tu adores un réalisateur, alors tu vas attendre dix ans qu'il trouve de l'argent. Et s'il y avait une opportunité, les gens donneraient certainement un peu d'argent pour qu'il commence à tourner. Comme ça, pas besoin de soutien public pour les films d'auteur. Et si certains projets ne trouvent pas d'investisseur parmi le public potentiel, alors cela signifie qu'ils ne sont peut-être pas nécessaires à la société.
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