L e maire de Moscou, Sergueï Sobianine, estime que la capitale « n’a pas besoin » d’une Gay Pride. « C’est déjà la troisième personne qui pose une question sur la Gay Pride. Il y a un problème ? » , ironisait-il devant des journalistes lors d’une conférence de presse en février dernier. Le niveau de discussion des responsables russes sur l’homosexualité et l’homophobie est celui d’écoliers pendant la récréation. Des plaisanteries plates et puériles, quelques clins d’ œil. Pourtant il est temps que des politiques responsables émergent et permettent aux gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels de manifester. Et bien sûr, ces personnes devraient aussi être protégées contre les agressions des « activistes orthodoxes radicaux ». Nous avons appris à nous insurger contre le racisme, à nous émouvoir des huées lancées des tribunes, des bananes brandies en direction de footballeurs de couleur. Mais nous ne voyons toujours pas le lien entre la discrimination dont étaient victimes les sportifs noirs dans les années 50 aux États-Unis, et celle que rencontrent les gays et les lesbiennes dans la Russie contemporaine.
Parmi les signes de l’homophobie : le refus, actif ou passif, de l’idée même d’un rassemblement, d’une manifestation ou d’un défilé des représentants des minorités sexuelles. Une intolérance justifiée par des arguments fort anciens., selon une logique qui voudrait que l’homosexualité soit contraire à la nature car elle ne permet pas la reproduction. Argument hypocrite et fourbe puisque les hétérosexuels sont les premiers à avoir des rapports pour le plaisir.
Autre subterfuge désolant, l’argument selon lequel l’homosexualité n’est pas conforme aux traditions, ne correspond pas aux « bonnes » valeurs, véhiculées sur la famille. Et tous ces couples hétérosexuels sans enfants, qui ne rentrent pas dans le tableau idéal ? Et les personnes divorcées ?
La Gay Pride est dénoncée comme « propagande », et ses détracteurs partent du principe que l’homosexualité est un style de vie. Le message des participants à la Gay Pride s’adresse à ceux qui répriment leur homosexualité et en souffrent. Beaucoup ne réalisent pas combien les citoyens qui participent à la Gay Pride ne jouissent pas de leurs droits civiques. Ainsi, en vertu de l’article 31 de la Constitution, le « droit de se rassembler pacifiquement, sans armes, de tenir des réunions, meetings et manifestations, des marches et piquets » est grossièrement violé d’année en année.
Les gays et les lesbiennes se battent pour le droit d’officialiser leur relation. Les conservateurs ne sont pas prêts à accepter l’idée de mettre sur un pied d’égalité la relation mari-femme et celle des couples homosexuels.
Les gays et les lesbiennes aimeraient aussi élever des enfants. Une requête très controversée. Mais les opposants à cette idée ne disposent pas d’arguments suffisamment rationnels. Ils prétendent notamment qu’un enfant issu d’une famille homoparentale souffrira inévitablement de séquelles psychologiques, mais ne s’appuient sur aucune source. En attendant, des études menées aux États-Unis, au Canada et en Australie prouvent que les enfants, élevés dans des familles homoparentales, grandissent comme les enfants de familles hétérosexuelles sans avoir plus de chances de devenir gays ou lesbiennes, contrairement aux craintes exprimées par la majorité conservatrice. En Russie, sur quelles études se base-t-on ?
« Je ne comprends pas ce qui leur manque. Qu’ils restent donc chez eux » , entend-on ça et là. L’acte de manifester dépend de la conscience de chacun, plutôt que d’une solidarité envers la majorité. Le droit pour les gays et les lesbiennes de manifester et de revendiquer est inaliénable.
« Ils cherchent à imposer leur mode de vie comme une norme» . Une expression typique de l’homophobie, qui ne se base sur aucun fait, car il est difficile de trouver l’exemple d’un pays dans lequel les hétérosexuels feraient l’objet d’une discrimination. Le fondement de cette phobie est tabou. Car cela revient à admettre qu’ils pourraient « se comporter avec nous comme nous nous sommes comportés avec eux ».
Beaucoup d’entre nous ne cachent pas leur homophobie. Beaucoup en sont même fiers. L’homophobie fait partie de cet air que nous respirons, de notre façon d’éduquer et d’élever nos enfants. Pendant de nombreuses années, le refoulement quotidien de la sexualité dans les discours nous a conduits à ne plus savoir comment parler de « ça », surtout s’il s’agit d’en parler sous des formes « non conventionnelles ». Dire : « je ne veux pas que mes enfants voient ça, que les gays restent chez eux » , ce n’est pas se préoccuper de la santé psychique de nos enfants, mais reconnaître sa propre défaite pédagogique. Qu’importe si l’argumentation est rationnelle ou non. La société russe n’est pas prête à accepter la Gay Pride ou à légaliser le mariage gay. Mais formellement, elle est suffisamment développée pour accepter l’Autre dans sa différence. Parce que dans l’ensemble, nous sommes tous différents. Et chacun a, dans sa vie, la possibilité de se sentir gay ou lesbienne. Je ne parle bien sûr pas de l’orientation sexuelle. Je parle de l’incompréhension et du désintérêt.
Article initialement publié dans Nezavisimaya Gazeta.
Stanislav Minine est
éditorialiste de Nezavisimaya Gazeta.
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