Un développement à l’arrêt

En esquivant la formation de nouvelles plateformes politiques, le tandem russe au pouvoir s’essouffle, et pourrait bien stopper le développement du marché des idées politiques en Russie.

Crédits photo : ITAR-TASS


Lors de sa dernière conférence de presse, l’annonce par le président russe Dmitri Medvedev de sa candidature pour un nouveau mandat présidentiel était largement attendue. Mais Dmitri Medvedev a défié les attentes et s’en est tenu à sa ligne habituelle de «décisions à venir». A titre de revanche, experts et journalistes ont souligné le caractère décevant et le manque de substance de cette conférence carrément ennuyeuse. La couverture médiatique, quoique intense et émotionnelle, a placé cette conférence au premier rang des plus célèbres «évènements ennuyeux» de l’histoire politique russe. 

Nonobstant le barrage de critiques, cette nouvelle conférence de Medvedev a fourni une nouvelle preuve que la concurrence des idées politiques est de retour en Russie. Malgré sa réticence à faire son «coming out» présidentiel, Dmitri Medvedev a tout de même articulé un certain nombre de points politiques. Et certains d’entre eux, exposés au cours de ses dernières déclarations publiques, remettent directement en cause les positions exprimées par un autre politique qui tient les rênes en Russie, son Premier ministre Vladimir Poutine.

Quelles que soient les intentions de Medvedev ou de Poutine lorsqu’ils soulignent les objectifs stratégiques de leur accord, ils diffèrent toujours sur ce qui fait la marque de la présidence Medvedev: la «modernisation» de la Russie. Mais ne vous méprenez pas, le litige ne porte pas sur la «vitesse» de la modernisation ou sur le coût du «libéralisme injustifié» qui a permis de mettre en route le processus de modernisation. Medvedev envisage certaines réformes politiques, la «dé-monopolisation» du système politique en tête, comme partie intégrante de la modernisation de la Russie. Pour sa part, Vladimir Poutine pense la modernisation en termes de solutions purement technocratiques. Même dans le domaine des relations internationales la fracture croissante entre les deux dirigeants semble évidente: Medvedev essaie de promouvoir une politique étrangère plus souple, parfois presque «orientée vers des valeurs», quand Poutine s’en tient à une approche plus traditionnelle pour la Russie d’établir le dialogue avec le reste du monde («nous contre eux»).

Ce qui est véritablement important, c’est que ces différences ne reflètent pas uniquement les opinions personnelles divergentes de Medvedev, Poutine et de leurs équipes de conseillers. Ces différences sont le signe de factions au sein même des élites politiques et des puissants hommes d’affaires russes. Ces factions embrassent des points de vue concurrentiels sur les intérêts nationaux du pays, ses besoins et problèmes, son avenir. En outre, les plateformes politiques proposées par le président et son Premier ministre commencent à gagner la reconnaissance et le soutien de citoyens au sein des différentes parties de la société russe.

L’identité du prochain président de Russie devra être capable de produire un effet imparable à très court-terme sur la façon dont les problèmes les plus importants du pays seront traités, notamment la libéralisation de l’économie, la lutte contre la corruption et l’amélioration de la sécurité nationale. Des problèmes qui ne disparaîtront pas pour autant après l’élection présidentielle. L’approche de solutions sur le long-terme feront l’objet d’un débat permanent.

En reportant leur décision de se présenter pour 2012, voire en refusant simplement d’annoncer une date butoir, Medvedev et Poutine évitent de lancer un débat politique à l’intérieur même du pays, créant ainsi un format plus approprié à leurs attentes: celui d’une campagne électorale soit entre partis politiques, soit entre candidats individuels. En réduisant le débat public en un fil successif d’euphémismes et de non-dits dans les discours et conférences de presse, le tandem ralentit et pourrait bien stopper le développement du marché des idées politiques en Russie.

Reste à voir si la revitalisation d’une diversité idéologique encore fragile se traduira, dans le futur, par une concurrence accrue du politique. Certains signes prometteurs sont là, souvenez-vous les élections de la Douma en 2007. La question à l’époque était de savoir combien de sièges le parti Russie unie obtiendra. Aujourd’hui, personne ne peut garantir à Russie unie ne serait-ce que la majorité. Tout le monde semble s’accorder sur le fait que la base électorale du parti continue de s’éroder. Une tendance exacerbée par l’incapacité permanente de Russie unie à générer de nouvelles idées et à présenter de nouveaux visages, plus attrayants, aux électeurs. En 2007, tout était plus facile: tout ce dont le parti avait besoin pour obtenir la majorité absolue était de s’appuyer sur la côte de popularité de son mentor Vladimir Poutine. Apparemment, ce système ne fonctionne plus, comme en atteste la création du chaotique Front populaire de toute la Russie. Que Russie unie ait besoin d’un «front» pour assurer sa domination à la Douma signifie que même la popularité de Vladimir Poutine, en plein déclin, a perdu sa touche magique.  Certes, Russie unie peut encore compter sur sa redoutable machine à campagne électorale, ainsi que sur des ressources administratives quasi-illimitées dans les régions de Russie. Mais en 2007, le parti disposait d’un fervent supporter au Kremlin. L’actuel résident du Kremlin sera-t-il tout aussi favorable à Russie unie?

Les futurs résultats du parti de la Juste Cause reste l’intrigue principale de la saison électorale du parlement russe cette année. Mais pour l’instant, le parti en est encore à élire le milliardaire Mikhaïl Prokhorov président. Les spéculations autour de cet homme d’affaire dynamique, charismatique et politiquement vierge, à la tête du parti, vont bon train, et certains estiment que Juste Cause pourrait devenir le deuxième parti de la Douma. Mis à part le battage médiatique autour de Prokhorov, l’ampleur potentielle de Juste Cause en tant que futur parti parlementaire reste difficile à surestimer. Depuis l’emprisonnement de Mikhaïl Khodorkovski en 2003, les grandes entreprises russes ont dû compter sur des réunions soigneusement orchestrées avec le président et l’Union Russe des Industriels et des Entrepreneurs, totalement apolitique, pour défendre leurs intérêts. Si le parti de la Juste Cause entre à la Douma, il fournira aux oligarques le moyen d’influencer directement sur la politique économique du pays.

Eugene Ivanov est un commentateur politique du Massachusetts et tient son propre blog The Ivanov Report

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