Des clubs, de l’eau et un peu de chocolat

Crédits photo : Ruslan Sukhushin

Crédits photo : Ruslan Sukhushin

Sur les rives de la Moskva, le site de la célèbre chocolaterie Octobre Rouge offre un spectacle délicieux de jolies filles et de clubs branchés aux face controls implacables.

 

Ce samedi, il est 2 heures du matin lorsqu’un cortège de BMW et de voitures russes bringuebalantes débarquent sur le site de l’usine désaffectée, autrefois réputée pour ses cascades intarissables de chocolat et le parfum suave du cacao qui s’en dégageait. Depuis, la fabrique de chocolat est devenue le club le plus hype de la capitale. Un lieu dégoulinant d’opulence, qu’un blogger décrit comme « le cauchemar d’un enfant de 7 ans qui aurait mangé trop de bonbons et se serait endormi ».

 

Perchées sur leurs talons aiguilles, les filles sortent des taxis et se dirigent furtivement vers l’imposant bâtiment en briques rouges, sorte de jardin d’Eden. Certains affirment que le Raï, qui signifie « paradis » en russe, n’est plus la boîte la plus chaude de Moscou. Pourtant, longue est la file d’attente de clubbers qui s’y pressent en ce samedi soir.

 

L’entrée est gratuite, mais cela ne veut pas dire que tout le monde peut entrer. Le Raï reste le royaume de la nuit moscovite, connu du tout Moscou pour son impitoyable face control, anglicisme devenu le maître mot des nuits moscovites. L’entrée dans le club dépend d’un seul homme, qui se tient fermement devant la porte. A Moscou, passer le face control relève de l’exploit, voire de la performance artistique.

 

Pourtant, il se dit chez les noctambules que le club le plus glamour de la ville, aux rythmes techno et électro frénétiques, est un peu dépassé. Du moins connaît-il une concurrence plus rude. Depuis que le Raï a ouvert ses portes, de nombreux bars et boîtes de nuit ont fleuri à proximité, et ce même après la crise de 2008. De nouveaux lieux qui répondent à la demande de ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder au VIP room du Raï, notamment des étudiants à la recherche d’une alternative à ce club très sélect.

 

Vladimir, l’homme du face control

 

Une jolie jeune femme s’approche de l’entrée du Raï et scrute le videur. Celui-ci ne souhaite pas dévoiler son identité. Il préfère être présenté comme « Vladimir, l’homme du face control ».

 

« Pouvez-vous nous laisser entrer, mon amie et moi ? », demande la jeune femme. « Je voudrais rejoindre l’espace VIP ».

 

« Vous pouvez entrer, mais à condition de réserver une table », répond Vladimir. Ici, les tables coûtent minimum 50 000 roubles (environ 1 250 euros).

 

« On a mal aux pieds », gémit-elle, consciente que mis à part le coin VIP, il n’y a nulle part où s’asseoir.

 

« Où est ton amie? Peut-être ne va-t-elle pas me plaire », rétorque Vladimir, donnant ainsi une définition pratique et plutôt claire du concept de face control.

 

Son amie, vêtue d’un haut léopard, coupe la file d’attente et toutes deux se précipitent à l’intérieur. Jolies filles et hommes richissimes ont toujours constitué le pilier cynique sur lequel reposent les clubs haut de gammes. Un club situé à deux pas du Raï s’adresse lui à une toute autre clientèle. Le Rolling Stone Bar & Tattoo est à la fois un bar et un club pop-rock. Le face control y est également de rigueur, mais au Rolling Stone vous risquez surtout, si vous abusez de la boisson, de finir la nuit dans le salon de tatouage du club.

 

La crise financière de 2008 a fait échouer les plans de transformer la fabrique de chocolat en un « kilomètre de millions de dollars ». Les projets de lofts et autres appartements de luxes ont été subitement gelés, et le quartier est devenu, à la place, le lieu le plus prisé de la vie nocturne moscovite.

 

Juste après la crise, les clubs se sont d’abord mis à fermer les uns après les autres. Mais très vite, les magnats de l’immobilier y ont vu de nouvelles opportunités et ont commencé à investir les locaux, y compris certains hangars. « Les prix ont baissé, et les biens immobiliers étant moins chers, de nouveaux clubs ouvrent leurs portes », explique le videur du Rolling Stone Bar, Fillip Alexeev, qui avoue être payé 5 600 euros par mois en travaillant seulement deux jours par semaine.

 

« C’est un boulot dangereux », prévient-il. « Je reçois des menaces de mort, les gens risquent de m’attendre à la sortie de mon travail. D’ailleurs, des gardes du corps me raccompagnent chez moi après mon travail ». Son conseil pour obtenir un tel job : être bien habillé et avoir l’air intelligent.

 

Mais pour certains, il y a trop de pression dans ces lieux branchés. Ils préfèrent passer leurs soirées au Mayak, le bar du Théâtre Maïakovski. Le Mayak est devenu le lieu de prédilection des journalistes, des acteurs et des artistes qui s’y retrouvent chaque vendredi. Et gare à ceux qui boudent la piste de danse, il pourraient bien subir les réprimandes du patron.

 

Ces endroits, dits demokratichniye ou démocratiques, sont moins chers, mais ils n’échappent pas au face control. Et si ni votre charme ni votre allure ne vous permettent d’entrer, il vous sera difficile de soudoyer votre entrée.

 

Quelques heures avant la fermeture du club, Vladimir surveille les nouveaux venus qui souhaitent d’entrer au Raï. Certains sont encore plein d’espoir, d’autres, emplis d’arrogance. Deux jeunes hommes aux montres un peu trop lourdes pour leurs poignets chétifs s’approchent de la grille.

 

Quand Vladimir leur refuse l’accès, l’un deux lui lance : « Je connais le propriétaire du club depuis des années. Sais-tu qui est mon père? ». L’autre, Adam, se frotte le pouce et l’index et demande « Pouvons-nous résoudre ce problème à la manière tchékhovienne ? ». Etrange euphémisme, mais Vladimir a compris l’allusion. Il refuse le pot-de-vin.

 

L’heure de la fermeture

 

Il est maintenant 6 heures du matin, et presque tous les clubs de Moscou ont fermé leurs portes. Quelques fêtards se dirigent vers Krisha Mira, le Toit du Monde en russe. Au sommet d’une usine désaffectée, le club donne une vue imprenable sur la Moscow-City, le centre financier de la capitale. Difficile de mettre fin à cette nuit de folie, même si dans ce club, un Cuba libre coûte entre 10 et 15 euros. Alors que les premiers rayons du soleil pointent déjà, les derniers fêtards viennent finalement s’effondrer sur les banquettes arrières des taxis, les jeunes filles, talons aiguilles à la main. L’entrée est gratuite, mais une fois encore, tout le monde ne peut entrer.

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