Roman en noir et blanc

 


 

Titre :La Tête de mon père

Editions : Boréal

Auteur : Elena Botchorichvili

Traduit par Bernard Kreise

 


 

La Tête de mon père est le cinquième roman d’Elena Botchorichvili, jeune auteure russophone d’origine géorgienne et émigrée au Québec, tout comme le narrateur, auteur de cette longue lettre en réponse à son fils, conduit en Géorgie pour son voyage de noce et qui veut en savoir plus sur ses racines. Point de départ des souvenirs, une blessure : « Entre le pays où je suis né et moi il n’y a pas des années et des distances, il y a la mort de mon père, sa tête enterrée séparément de son corps sous un arbre arraché avec ses racines dans un village qui n’existe plus… ce sentiment me déchire en morceaux » .

 

Ce sont pourtant des moments de vie lumineux que le narrateur choisit ensuite d’évoquer : ses parents, couple improbable, dont l’insouciance et la fantaisie rappellent les héros de Fellini ; la mère, interprète d’un rôle unique et sulfureux, autant que le permettait le cinéma de l’époque, « la plus grande de toutes les actrices méconnues » ; le père, « citoyen soviétique on ne peut plus ordinaire », rédacteur des discours officiels qui, un jour, ne revient pas d’une banale promenade et dont la tête est enterrée à quarante pas de la datcha qu’il a reconstruite avec les rondins de sa maison natale.

 

Le narrateur déroule le film des souvenirs en n oir et blanc comme son sentiment de haine et d’amour pour l’URSS, comme la relation orageuse des parents, entre disputes et réconciliations, comme le cinéma de l’époque auquel il fait référence, comme la nostalgie d’un temps révolu, comme l’URSS même : « Dans le film noir et blanc de l’Union soviétique… l es gens travaillaient tous ensemble, ils étaient joyeux… Un sentiment d’unité et d’égalité face à notre avenir, un sentiment de désolation et d’impasse nous unissait. Et la joie de vivre pouvait atteindre des sommets incroyables… ce sentiment d’unité entre les gens, quelle que soit son explication me manque. Cette frénétique joie de vivre me manque ».

 

La forme « sténographique » (ainsi que l’auteure définit ses romans) permet le « montage » cinématographique d’une narration parfaitement adaptée aux chamboulements de l’Histoire et aux mécanismes de la mémoire : discontinuité, oublis, répétition d’images, d’objets, de bouts de phrases qui reviennent en boucle, points d’ancrage emblématiques qui campent les personnages et contribuent à donner son charme à ce court roman qui évoque des pans tragiques de l’Histoire avec la légèreté, la drôlerie et la poésie d’un film d’Otar Iosseliani.

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