Assaut créatif sur les friches

Crédits photo : Ruslan Sukhushine.

Crédits photo : Ruslan Sukhushine.

Depuis quelques années, la Russie s’est éveillée au concept d’industrie créative. Les projets de réhabilitation des friches industrielles se font une place dans le monde des affaires

Itar-Tass

En sortant de la gare Kourskaïa, traversez la place bruyante, en évitant les chiens errants, longez la petite décharge improvisée, faufilez-vous entre les kiosques déglingués de gadgets bon marché, entre deux murs aveugles, au bout de la rue, vous y êtes. Winzavod, centre d’art contemporain. Une oasis exubérante au cœur d’un quartier industriel lugubre proche du centre. Briques rouges et architecture industrielle, graffitis et jeunes branchés, c’est l’un des clusters artistiques de la capitale, né dans la foulée des Biennales d’art contemporain de 2005 et 2009 et fondé sur le modèle occidental de la transformation d’une fabrique abandonnée en un haut lieu culturel. Moscou, jadis capitale mondiale du prolétariat, abrite nombre d’usines désaffectées, partiellement ou totalement, souvent situées dans les quartiers du centre, car la mégapole a depuis longtemps avalé ses premières couronnes.


 
Winzavod. Fondé en 2007, dans une ancienne brasserie, et dirigé par Sofia Trotsenko, ce centre d’art contemporain se consacre à tous les arts visuels, en réunissant, autour des ses six espaces d’exposition, des galeries privées, des showrooms, des boutiques et un café.


L’État n’a pas encore mis en route d e politique économique et culturelle pour une « industrie créative » en Russie, fondée notamment sur la petite et moyenne entreprise, explique Elena Zelentsova, directrice de l’agence de conseil Industries créatives. Ce qui n’empêche pas l’essor de divers centres artistiques d’un type nouveau pour le pays, hybrides, polyvalents, résolument modernes. À Moscou, Winzavod, Strelka, Artplay, Garage, Proekt Fabrika ou encore Flakon, ont investi avec succès des fabriques, s’appropriant des milliers de mètres carrés de hangars. Ces entreprises sont souvent financées par de richissimes mécènes comme Alexandre Mamut et Serguei Adoniev (Strelka). D’autres (Artplay et Winzavod) affichent des résultats équilibrés en sous-louant leurs locaux. 
De vastes espaces d’exposition accueillent des rétrospectives prestigieuses (Ilya Kabakov en 2008 à Winzavod) ou des expos-ventes pour artistes débutants : le salon annuel « Student Artfair » de Artplay expose des étudiants, en sollicitant galeristes, experts et médias. Ces clusters réunissent des professionnels sous les mêmes toits et ambitionnent de sortir la Russie de son « provincialisme culturel » pour l’intégrer à la scène internationale. Ils entendent promouvoir et populariser l’art contemporain et ses applications. L’innovation et le design, leur valeur marchande, et les problématiques socio-économiques connexes, sont le ressort de spécialistes qui se sont investis d’une mission civilisatrice.

L’Institut média, design et architecture Strelka, présidé par Ilya Oskolkov-Tsentsiper, a ouvert l’an dernier un programme d’enseignement supérieur. « Avant de pouvoir parler d’une industrie, il faut former une couche solide de professionnels de haut niveau » , explique-t-il, installé dans le café cossu de Strelka, autour duquel se structure la vie du centre, tissée de manifestations ouvertes au public. « Notre système éducatif ne prépare pas à penser globalement. Nous faisons appel à des spécialistes de renommée mondiale, Rem Koolhaas ou Reinier De Graaf ». 


Mais il ne suffit pas de former des créateurs performants. Il faut aussi instruire la société dans son ensemble et susciter une demande pour ces produits nouveaux. « Nous devons éduquer le regard. L’art contemporain ne va pas de soi » , explique Alena Saprykina, directrice artistique d’Artplay, qui rassemble les grandes agences de design et architecture. Les clusters accordent une place de choix aux projets interactifs afin de ne pas devenir des réserves introverties d’experts, mais des fabriques culturelles populaires, des lieux ouverts de transmission. 
Malgré tous ces obstacles et la crise économique de 2008, les centres moscovites se félicitent d’être en développement constant, la demande restant largement supérieure à l’offre. Le centre de réflexion Strelka a été choisi par la mairie de Moscou pour l’aider à la restructuration de l’immense parc Gorki, au centre de la capitale. « Il y a deux ans, nous avions l’impression à être les seuls à avoir besoin de cette aventure, ni la société, ni les autorités n’étaient particulièrement intéressées », se réjouit Ilya. « Le pouvoir comprend qu’il faut évoluer, se moderniser, mais il ne sait pas comment s’y prendre, et c’est là que nous intervenons » .


Les principaux clusters créatifs à Moscou :


Winzavod. Fondé en 2007, dans une ancienne brasserie, et dirigé par Sofia Trotsenko, ce centre d’art contemporain se consacre à tous les arts visuels, en réunissant, autour des ses 6 espaces d’exposition, des galeries privées, showrooms, boutiques et café.

 

Artplay, le pionnier du genre, a été fondé en 2003, chapeauté par l’architecte Serguei Dessiatov. Installé depuis 2009 dans les bâtiments de l’ancienne usine Monomètre, ce cluster rassemble les professionnels de l’architecture, design, urbanisme, ingénierie, meuble.

 

Garage. Fondé et financé par Dacha Joukova en 2008, ce « Centre de la culture contemporaine » est l’un des plus grands espaces d’exposition à Moscou, très en vogue.

 

Proekt Fabrika partage les lieux avec une usine de papier encore en activité et héberge des ateliers et agences de tous les horizons créatifs : architecture, design, cinéma, musique, livre, publicité, danse, théâtre.

 

Usine-design Flakon : à partir de 2009, cette ancienne usine de verre se transforme en zone mixte de business et de création, partagée entre espaces d’évènementiel, bureaux, agences de pub et de design, studios d’enregistrement et show-rooms.

 

Strelka. L’Institut média, architecture et design occupe l’un des bâtiments d’une splendide ancienne usine de chocolat, Octobre rouge, en plein cœur de Moscou, qui accueille par ailleurs des galeries de photo et d’art, des restaurants branchés, quelques rédactions de magazines et de chaînes de télévision branchés.

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