Crédits photo : RIA-Novosti
Quand Evguenia Ivanovna a été hospitalisée récemment, sa fille Zoïa savait intuitivement qu’il lui faudrait régler « au noir » une partie des frais à l’infirmière, bien que l’hôpital soit public. Elle a donné 500 roubles (12 euros). Ce n’est pas tant le montant qui pose problème, disent les sociologues, que la nature de ces pots-de-vin. Sur le papier, le système de santé russe est gratuit. Ce papier, c’est la Constitution russe, rédigée en 1993, qui stipule que chaque citoyen a droit à la gratuité médicale. En réalité, la médecine russe fonctionne à double vitesse, mêlant des services de santé privés et un système public à la traîne. Ce dernier, ravagé par des années de financement insuffisant, se caractérise par des hôpitaux décrépits dont le personnel déprimé et lamentablement sous-payé encourage souvent une rémunération ad hoc de son travail.
C’est l’une des grandes contradictions de la société russe : elle compte de très bons médecins et chercheurs originaires d’un pays où, à quelques centaines de kilomètres de Moscou, les familles des patients sont tenues d’acheter à leurs frais les pansements, seringues, poches de solution saline et tout le nécessaire pour un séjour hospitalier. La presse décrit des hôpitaux où les instruments sont stérilisés dans des casseroles posées sur des serpentins électriques.
Le
gouvernement russe se lance donc dans une immense réforme qui
prévoit une injection de 19,3 milliards d’euros pour doter les
hôpitaux du pays d’équipements dernier cri, et revaloriser les
salaires du personnel médical. La Russie devrait accroître ses
dépenses de santé de 3,9% à 5% par an pour se rapprocher de
l’Union européenne.
Le
piteux état du système de santé, doublé d’indices de mortalité
alarmants, ont servi de catalyseur. « La Russie a un taux de
natalité de pays développé, c’est-à-dire bas, et un taux de
mortalité de pays en développement, c’est-à-dire élevé »,
commente Macha Lipman, une spécialiste du centre de réflexion
Carnegie de Moscou. Elle ajoute qu’il y a « plusieurs
causes à la forte mortalité, dont l’une est la mauvaise qualité
du système de santé ». Les démographes les plus pessimistes
prédisent que la population russe pourrait chuter de 142 millions à
100 millions en 2050. Mais il n’y a pas de tendance
irréversible : si les Russes s’investissaient dans une
vie plus longue et plus saine, ils seraient peut-être enclins à
avoir plus d’enfants.
Le
gouvernement construit une série de centres médicaux dans tout le
pays, en mettant l’accent sur la lutte contre les maladies
cardio-vasculaires et les cancers. Dmitri Pouchkar, 47 ans, est le
principal urologue de la Russie. Ce chirurgien de réputation
internationale est à l’avant-garde de l’utilisation de
technologies pour le traitement du cancer, et en Russie, c’est un
pionnier de la médecine préventive pour les hommes. Il a obtenu des
financements du ministère de la Santé et du Développement social
pour importer des équipements opératoires robotisés dans quatre
hôpitaux du pays, mais il estime que le problème n’est pas
seulement financier. « Il revient à la société elle-même de
délivrer le message », dit-il. « La société, c’est
tout le monde, le président, le Premier ministre, les travailleurs.
Une société unie doit déclarer que nous comprenons ce que cela
signifie d’être un bon docteur et à quel point c’est
important ».
Le
système soviétique, gratuit pour tous, se concentrait sur les
spécialistes et les soins, négligeant la prévention. Les Russes
sont aujourd’hui peu nombreux à faire confiance à leur système
de santé. Les classes aisées préfèrent se faire soigner à
l’étranger. Soulignant l’aspect moral du problème, Pouchkar
conclut : « Il est impossible de réformer en un an, mais nous
pouvons commencer par reconnaître qu’il y a de bons et de mauvais
médecins. Nous devons absolument soutenir les bons ».
Tatiana Golikova :
« Comparés à l’année 2002, les investissements de santé ont augmenté de 5%. Par rapport à l’année 2007, cette augmentation atteint 53,6%. La Russie est l’un des seuls pays à avoir accru ses efforts financiers dans ce domaine pendant la crise. La santé est d’ailleurs celui qui reçoit le plus d’aides de l’État en Russie. Pour autant, les principaux problèmes sont moins une question d’argent que de gestion ».
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