Crédits photo : Anna Artemieva
En 2006, Yana Iakovleva était une femme d’affaires ambitieuse, copropriétaire de Sofex, une entreprise de produits chimiques. Elle pensait maîtriser les rouages du business russe. Mais quand des membres d’une unité de police spécialisée dans la lutte contre la corruption se sont présentés avec des documents pour réquisitionner sa société, ce fut un véritable choc. Les policiers se sont comportés comme s’ils saisissaient un bien qui leur appartenait. À cheval sur ses principes, Yana a refusé de payer pour échapper à la tentative d’extorsion. Cette noble action lui a valu d’atterrir en prison, un univers qu’elle connaissait pour avoir donné des cours de réinsertion dans un centre de détention pour femmes. « C’est une guerre terrible qui est livrée contre les femmes et hommes d’affaires, conduite en premier lieu par certains fonctionnaires russes », affirme Yana Iakovleva.
Iakovleva a été emprisonnée à tort pendant plusieurs mois.
« Ils peuvent s’attaquer à n’importe quel entrepreneur, engager des poursuites pénales pour finalement lui extorquer de l’argent. Et la victime comprend qu’elle va devoir se battre contre cette machine bureaucratique jusqu’à sa mort », explique la femme d’affaires. Aujourd’hui âgée de 39 ans, elle a passé sept mois de sa vie en prison et attend toujours son jugement. « Je n’arrivais pas à croire ce qui m’arrivait. Ma réputation, et tout ce pour quoi j’ai toujours travaillé menaçait soudain de s’écrouler ». Mais son cas a fini par attirer l’attention des défenseurs des droits de l’homme.
Cinq ans plus tard, Yana est devenue une figure emblématique de la lutte contre la corruption. Les entrepreneurs en détention provisoire se compteraient par milliers, même si aucune statistique officielle n’existe. Rares sont ceux qui ont été acquittés. Les investisseurs étrangers ne sont pas les seuls à craindre les fonctionnaires russes en quête de pots-de-vin et spécialistes des arrestations abusives. Selon une récente étude menée par le gouvernement, 17% des entrepreneurs russes ont l’intention d’émigrer, tandis que 50% disent vouloir refuser de céder au chantage. Au lieu d’abandonner son pays, Iakovleva a créé sa propre organisation, le Comité Solidarité Business, pour soutenir les entrepreneurs victimes de ces pratiques. Récemment, Yana a également été nommée à la présidence d’un centre anti-corruption russe qui collabore depuis peu avec le syndicat des PME russe Delovaïa Rossia. « Il s’agit de l’union de deux forces, car les autorités sont à la fois contre la corruption et contre le monde des affaires , a annoncé Boris Titov, à la tête de Delovaïa Rossia, et qui co-préside le centre anti-corruption avec Iakovleva.
Galina et Evgeni Konovalov font partie des tout premiers entrepreneurs à s’être adressés au centre. Leur société implantée à Krasnodar a subi une descente des autorités locales. « En 2008, nous avons appris que le propriétaire avait mystérieusement été remplacé, et lorsque nous sommes allés porter plainte au tribunal, mon mari a été arrêté sur de fausses accusations », raconte Galina Konovalov. Les avocats lui ont dit que son cas était sans espoir, mais cette même année, le couple a enregistré deux victoires : en février, le tribunal a reconnu plusieurs violations à l’encontre de l’accusé, et en mars, l’entreprise a été rendue aux époux Konovalov. Pour autant, l’affaire contre Evgeni n’est toujours pas classée, et les biens de la société ont été vendus au cours de la procédure judiciaire.
Le centre anti-corruption est la première initiative
incitant les entreprises à combattre elles-mêmes le fléau dont le
noyau « ne faiblit pas et prend l’économie à la gorge »,
pour reprendre le discours du 31 mars de Dmitri Medvedev. « Chaque
année, près de 70 000 entreprises sont victimes de corruption en
Russie. Les sommes versées en pots-de-vin peuvent atteindre jusqu’à
10% des dépenses totales. Il s’agit effectivement d’un racket à
grande échelle et qui touche toutes les institutions du pays »
, précise le président de Delovaïa Rossia, Boris Titov. Yana
Iakovleva estime que le droit pénal constitue actuellement la voie
principale de saisie des entreprises : « Auparavant, ces
pratiques concernaient principalement les tribunaux d’arbitrage
parce que la qualité de la justice et l’indépendance des juges
étaient faibles ».
De nouveaux amendements du Code pénal
atténuant les sanctions en cas de délits économiques sont entrés
en vigueur le mois dernier. Les amendes devraient remplacer les
peines de prison. « Nombre de nouvelles lois ont été
adoptées. Le problème, maintenant, est de les faire respecter »,
insiste Yana. « Jusqu’à mon arrestation, je n’imaginais
pas qu’une entreprise puisse avoir pour rôle d’agir sur la
société, ni qu’elle soit amenée à dénoncer des injustices ».
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.