Tourisme vs terrorisme

Photo : Ruslan Sukhushine.

Photo : Ruslan Sukhushine.

Le plan visant à combattre le terrorisme dans le Caucase russe grâce au tourisme s'est attiré de nombreuses critiques. La Russie d'Aujourd'hui a contacté un de ses champions pour en mesurer les enjeux

La route menant de l'aéroport de Vladikavkaz à la capitale d'Ossétie du Nord passe par le village de Beslan et par le monument aux 334 victimes – des enfants pour plus de moitié – de la prise d'otages de 2004, qui a valu à la région une triste notoriété mondiale. « Une terrible tragédie, plusieurs membres de ma famille sont enterrés ici », explique Oleg Karsanov, ministre du Tourisme de la république, alors que nous longeons les tombes, les montagnes environnantes étant obscurcies par un ciel couvert.

 

Ici, comme dans de nombreuses régions troublées du Caucase russe, on pourrait s'attendre à ce que la violence de l'histoire et l'horreur réduisent à néant tout espoir d'attirer les visiteurs. Mais dans le cadre d'un vaste programme fédéral de 10 milliards d'euros visant à développer les stations de ski de toute la région, présenté par le président Dmitri Medvedev lors du sommet de Davos en janvier, le tourisme est désormais considéré comme un remède à de nombreux maux, censé fournir des emplois qui font cruellement défaut, des stimuli économiques et des objectifs à atteindre.

 

Pour sa part, M. Karsanov est déterminé à régénérer l'image de son Ossétie du Nord natale et à rendre cette république montagneuse attractive pour les touristes. Il existe déjà un noyau solide de 100 000 visiteurs par an – russes pour la plupart, mais aussi 10 000 étrangers – et M. Karsanov compte doubler ce chiffre d'ici à 2014.

 

« Je passe la moitié de mon temps à convaincre les investisseurs que nous sommes une région où il est intéressant d'nvestir, et l'autre moitié à lutter contre la paperasserie sur le terrain », explique-t-il, avec le ton mesuré d'un homme en mission.

 

M. Karsanov, 43 ans, a passé huit ans à Londres dans les années 1990, tenant les rênes d'une société de conseil tout en réalisant un MBA, avant son retour aux sources. Après avoir occupé plusieurs postes dans l'administration locale, il a été chargé d'intensifier le tourisme régional.

 

Les traces du passé


En 1999, une bombe explosait sur le marché central de Vladikavkaz faisant plus de 50 morts ; en 2010, une autre attaque au même endroit tuait 19 personnes. Les coupables ont été condamnés, mais ces attentats, ainsi que les atrocités de Beslan, ont durablement terni la réputation de la république.

 

Et l'image n'est pas le seul problème. « À l'époque soviétique, nous jouions assez bien le rôle de point de transit pour les touristes », dit M. Karsanov, contemplant une vallée vierge entre les sommets enneigés. « Aujourd'hui, les endroits où ils avaient l'habitude d'aller, comme la Géorgie et l'Abkhazie, ne sont plus populaires. Nous devons nous convertir en destination de sports d'hiver, et c'est beaucoup plus difficile. »

 

Mais le flux de visiteurs augmente. Près d'un hôtel quatre étoiles en construction, un groupe de touristes de Saint-Pétersbourg embarque dans son bus. « Nous sommes ici pour skier », affirme Alyona. « Et jusqu'à présent, c'est sympa. »

 

Le plan d'Oleg Karsanov comporte deux volets : construire l'infrastructure de base, comme les routes, la plomberie et l'électricité au moyen de subventions étatiques ; et inciter les investisseurs à ouvrir des hôtels et autres commodités. « L'infrastructure est la partie la plus coûteuse dont nous devons nous occuper nous-mêmes. Personne ne va investir tant qu'elle sera dans cet état », précise-t-il.

 

Le ministre compte d'abord sur le soutien de la diaspora nord-ossète en Russie et à l'étranger, qui comprend des noms tels que l'ex-entraîneur national de football Valery Gazzaïev et le chef d'orchestre Valery Guergiev.

 

Rostislav Khortiev, un homme d'affaire de 50 ans, a déjà franchi le pas. Il est revenu de Sibérie il y a trois ans pour construire un projet d'hôtel estimé à 7,8 millions d'euros à 120 km de Vladikavkaz. Employant 35 personnes, l'hôtel accueille des groupes de toute la Russie dans le cadre de voyages touristiques consacrés au ski et à la pêche. « Le gouvernement local aide beaucoup en n'interférant pas avec ce que je fais, ce qui est très rare en Russie. Je n'ai pas payé un kopeck en pots de vin. Mais le gouvernement fédéral n'a pas encore construit toutes les infrastructures promises. Ça ne deviendra rentable qu'une fois que la route sera en place ».

 

A une demi-heure de route vers l'ouest se trouve Tsemeti, un village agricole abandonné du XIVe siècle, constitué d'un ensemble de temples en pierre et de routes perchées au sommet d'une colline, à plusieurs centaines de mètres au-dessus de la vallée. « C'est un endroit rêvé pour construire un village ethnique pour les touristes », déclare M. Karsanov, des étincelles dans les yeux. « La plupart de ces bâtiments en pierre sont de forme primitive. Je veux convaincre quelques habitants du coin d'y venir quand la saison le permet, d'accueillir des hôtes et d'élever le bétail comme ils le faisaient il y a des siècles. »

 

Pendant ce temps, son ministère cherche à faire décoller l'éco-tourisme en exemptant les habitants d'impôts s'ils ouvrent leur demeure à des hôtes. « À l'heure actuelle le but est uniquement de permettre au habitants de se faire un petit pécule supplémentaire », explique-t-il.

 

Des pistes de classe mondiale


L'élément le plus ambitieux du plan s'articule autour de Mamison, une station de ski dont la construction, en cours, est évaluée à 671 millions d'euros, et située à deux heures de route vers le sud-ouest de Vladikavkaz. Une fois achevé, le site possèdera plus d'une centaine de kilomètres de pistes de niveau différent, comprises entre 1 900 et 3 300 mètres d'altitude.

 

 « Malheureusement, il y a encore peu de stations de ski de classe mondiale en Russie, si tant est qu'il y en ait. Mamison offrira à nos compatriotes la possibilité de faire l'expérience d'une station au niveau mondial sans avoir à quitter le pays », affirme M. Karsanov.

 

Une féroce concurrence règne dans le Caucase du Nord pour obtenir une part du gâteau du financement fédéral. Mamison, qui est le plus grand des cinq projets de station approuvés, devrait recevoir 400 millions d'euros.

 

Cependant, les sceptiques augurent que l'impact du programme sera limité. « L'édification du tourisme est un moyen légitime d'injecter de l'argent dans l'économie locale et de stimuler d'autres secteurs comme la construction, mais il ne résoudra pas les problèmes qu'il est censé régler », explique Nikolaï Petrov, expert en sécurité au Centre Carnegie de Moscou. Quant aux résidents de ces régions, ils ne croiront en ces grands projets que quand ils les auront vus.

 

« Tout cela semble un peu utopique », selon Galina Gokashnavili, professeur à Vladikavkaz. « On parle de construire un projet comme celui de Mamison depuis les années 1970, et maintenant nous avons une mauvaise réputation. Pour les gens des environs ça fera l'affaire, mais les Moscovites, eux, ne viendront pas ».

« Lorsque les gens regardent sur une carte et voient que nous sommes situés à quelques « millimètres » seulement de régions comme la Tchétchénie, ils ne sont pas attirés », concède Oleg Kalaïev, premier vice-premier ministre d'Ossétie du Nord. « Des experts occidentaux sont venus examiner l'emplacement depuis un hélicoptère, et ont affirmé que le potentiel existait », ajoute-t-il cependant.

 

« Les Jeux olympiques d'hiver de Sotchi en 2014 aideront au développement du tourisme », estime M. Karsanov. « Non seulement ils montreront le sud de la Russie sous un jour plus positif, mais les Russes seront aussi plus nombreux à s'intéresser au ski, comme cela s'est produit dans d'autres pays accueillant les JO. Ce qui contribuera à attirer plus de touristes. »

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies