Denis Matsuev : la vie en musique

Crédits photo : Itar-TASS

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Denis Matsuev s’est imposé comme l’un des plus grands pianistes de son temps. Mais ne vous avisez pas de le qualifier de « prodige », car il ne le tolère pas. Enrevanche, si vous l’appelez « ours de Sibérie », il ne s’en offusquera nullement.

Denis Matsuev demeure tout aussi charismatique lorsqu’il troque son costume à queue-de-pie pour un style plus décontracté, assis à la table d’un pub anglais du centre ville de Moscou . « Pourriez-vous baisser le son, s’il vous plaît, pour ne pas gêner l’enregistrement», s’enquiert-il auprès du serveur tandis que je prends place à sa table.


Pour l’interview, Denis a accepté de quitter un instant le studio où il enregistre son nouvel album. Mais même ici il ne pense qu’à ça. Nous entamons la discussion sur son prochain concert à Paris, le 20 mai, au Théâtre des Champs Elysées. « Cette fois ci, je m’envole avec un programme romantique. Une sonate de Schubert, la sonate №23 de Beethoven dite l’« Apassionata », une Mephisto-Valse de Liszt, et la deuxième sonate de Rachmaninov : quelques-uns de mes morceaux préféreés », me coupe-t-il vivement.

 

Aujourd’hui, le jeune pianiste de trente-cinq ans donne plus de 160 concerts par an.

 

Combien de disques a-t-il sorti? 18 ou 19, il ne sait plus exactement. Les critiques internationales le présentent souvent comme « le nouvel Horowitz » (The Times), ou le nomment « l’ours de la scène » (La Scena Musicale), ce qui ne semble pas le contrarier. Un triomphe musical qui débute il y a plus de trente ans, dans la ville sibérienne d’Irkoutsk, lorsque le petit garçon de trois ans pose la main sur le clavier du piano familial et, sans même apercevoir les touches, reproduit l’indicatif de la météo, alors diffusée à la télévision. « A la maison, la musique faisait partie du quotidien, se souvient Denis. Maman enseignait a l’école de musique. Papa était pianiste et compositeur. Il dirigeait l’orchestre d’un theatre dramatique et donnait des cours au conservatoire. Nous étions toujours entourés de musique. Mes parents jouaient et donnaient aussi des représentations à la maison ».

 

« Oui, j’avais l’oreille absolue, poursuit-il. J’étais capable de retrouver n’importe quelle mélodie en quelques secondes et de mémoriser une sonate en quelques jours. Mais je n’ai jamais travaillé dix heures par jour pour y arriver. J’étais un petit garcon comme les autres: j’aimais le hockey, le football, et comme tous les petits garçons je me suis foulé le bras plusieurs fois», me confie Denis Matsuev.


En avril 1991, un événement fait basculer la vie du jeune Matsuev, alors étudiant au conservatoire. A la recherche de nouveaux talents, la Fondation russe Les Nouveaux Noms, pour le soutien des jeunes musiciens, organise une audition dans la ville d’Irkoutsk. A l’époque, le jeune pianiste en herbe semble plus intéressé par ses entraînements de football que par le concours de musique. Mais ses parents finiront par le persuader de passer l’audition. Son agilité et sa virtuosité ont immédiatement séduit le jury. Six mois plus tard, Denis débutait sa carriere de grand pianiste. Denis Matsuev a joué au siège de l’OTAN et de l’ONU, au Palais de Buckingham et au Centre Carnegie. Il s’est produit devant le Pape et la Reine d’Angleterre. « C’est à ce moment que j’ai réalisé que la musique pouvait réellement devenir mon métier ».


Mais cette idée ne sera véritablement acquise que lorsque Denis Matsuev remportera le concours Tchaikovski en 1998. Le jeune lauréat se souvient notamment des félicitations du legendaire compositeur britannique, son ami Andrew Lloyd Webber. « Il m’a envoyé un fax pour m’écrire : « Je n’en ai jamais douté. C’était inattendu et touchant».


Bien qu’il soit très sollicité en tant que pianiste, Denis Matsuev se consacre aussi à d’autres activités. Depuis 2008, il dirige notamment la Fondation Les Nouveaux Noms, et assiste à son tour les jeunes talents.


Quant à l’avenir de la musique classique, Denis Matsuev en parle avec réserve. « Le monde change et, malheureusement, pas en mieux. Tout est commercialisé, y compris la musique classique. Aujourd’hui, un jeune talent n’a quasiment aucune chance d’exprimer sa musique. Les directeurs de maisons de disques préfèrent produire un artiste connu qui interprétera des œuvres connues et fera salle comble, c’est plus rentable. Investir dans de jeunes talents sans savoir si on va y gagner, c’est plus rare ».

C’est dans ce but que Denis organise en 2005 le Festival Crescendo, auquel participent de nombreux jeunes musiciens. « Beaucoup disaient a cette époque que l’école russe de la musique avait disparu. Mais nous leur avons prouvé le contraire. Le Festival connaît un immense succès et les jeunes talents qui y ont participé il y a quelques années sont aujourd’hui des artistes reconnus ».


Denis Matsuev entretient une relation particulière avec ces festivals : « Non pas que je sois fan. C’est juste que je prends beaucoup de plaisir a faire ce que j’aime. Par exemple, en août dernier, j’ai participé à un festival féerique à Annecy, en France. Cette année, il accueillera Valery Gergiev, Yuri Bashmet et beaucoup d’autres musiciens. Des maestro, mais aussi des jeunes talents ».


Pourquoi la France ? « Je me suis toujours senti proche de la France, répond Denis sur un ton assuré. Au niveau culturel, nos pays sont en harmonie totale. Pour moi, la France, c’était aussi mon premier voyage a l’étranger. Cela remonte à 1989, quant un petit musicien venu d’Irkoutsk a fait résonner son piano dans les murs ancestraux de la Sorbonne. C’était dans le cadre d’un échange scolaire. Je n’oublierai jamais ce voyage ».


La France, pour Matsuev, c’est aussi le jour ou Alexandre, le petit-fils de Serguei Rachmaninov, lui a proposé d’interpréter les pièces inédites du grand compositeur russe. Composées pendant ses annees d’études au conservatoire, Rachmaninov aurait envoyé les pièces a Tchaikovksi, mais son secrétaire les auraient perdues. « Je les ai enregistrées sur le piano de Rachmaninov, dans sa propriété en France. Le disque a eu un succès fou, et il a marqué le début de ma collaboration à la Fondation Rachmaninov ».


Et lorsqu’on l’interroge sur ses rêves, Denis Matsuev répond avec le même aplomb : « Que cette folie ne s’arrête jamais ».

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