Le ministre de la Défense, Anatoli Serdioukov, hésite pourtant à assumer la responsabilité de la réorganisation de l’industrie militaire. Image de Dmitri Finn
Le débat autour de l’efficacité de la défense russe s’amplifie. La
polémique de ces dernières années a enflé suite aux propos d’Ale xandre
Postnikov, commandant en chef de l’armée de Terre, qui a critiqué à la
fin du mois de mars la qualité du char russe ultramoderne T-90S. En le
comparant au char allemand Leopard, de meilleure qualité et moins cher
que le T-90, Postnikov a clairement voulu faire pression sur les
fournisseurs de l’armée pour qu’ils améliorent leur qualité et leur
productivité.
Peu de temps après, c’est Dmitri Medvedev qui s’est fâché contre les
responsables de l’industrie de la défense, parce qu’ils n’honorent pas
correctement les commandes de l’armée. Medvedev a concrétisé ses propos
en limogeant le président de la seule entreprise russe produisant des
submersibles nucléaires. Des interventions présidentielles aussi
radicales sont d’autant plus notables que l’industrie de la défense a
toujours été considérée comme le pré carré de Vladimir Poutine.
Au cours des 15 premières années de l’ère post-soviétique, le secteur de
la défense s’est principalement orienté vers le marché de
l’exportation, devenant leader mondial dans de nombreux domaines. Une
grande partie des projets de recherche et de développement est
d’ailleurs menée pour des commandes étrangères, ce qui est dû au fait
qu’il n’y avait quasiment pas de commandes venant de l’armée russe
durant les années 90. Ce n’est qu’en 2007 que les commandes nationales
ont dépassé celles destinées à l’exportation. La piètre performance de
l’armée russe durant la guerre russo-géorgienne d’août 2008 fut aussi un
déclic. Au cours des deux dernières années, le ministère de la Défense a
passé des commandes importantes pour des séries d’armes classiques,
notamment 130 nouveaux avions de combat et plus de 100 hélicoptères. La
Marine a obtenu des engagements sans précédent. Le ministère de la
Défense prévoit de passer des contrats d’une valeur globale de 670
milliards de dollars au cours des dix prochaines années pour renouveler
le parc militaire. Le matériel porte sur huit sous-marins nucléaires à
missiles balistiques de classe Borei, 10 missiles de brigade Iskander,
600 nouveaux avions, 1000 hélicoptères, 28 bataillons du dernier système
de missiles anti-aériens S-400 et 100 navires de guerre. Le ministre de
la Défense, Anatoli Serdioukov, hésite pourtant à assumer la
responsabilité de la réorganisation de l’industrie militaire. Des
querelles ont éclaté concernant les défauts des systèmes d’armes russes,
se traduisant par une tendance du pouvoir à acheter des armes à
l’étranger, comme ce fut le cas pour le porte-hélicoptères français
Mistral.
Le complexe militaro-industriel russe est désormais divisé au niveau de
ses deux éléments constitutifs. Ceux-ci sont à couteaux tirés, comme au
temps de la Guerre Froide. Normalement, le travail de coordination entre
l’armée et l’industrie d’armement doit être effectué par une commission
militaro-industrielle dirigée par le vice-premier ministre Sergueï
Ivanov. Mais cette commission n’a jamais obtenu les pouvoirs nécessaires
et n’est donc pas en mesure de remplir sa fonction principale, à savoir
le contrôle de la réalisation des commandes militaires. Le ministère de
la Défense et les fournisseurs doivent trouver un nouveau mode de
fonctionnement, ce qui ne sera possible que si le gouvernement apprend à
gérer efficacement les ministères concernés et nomme des responsables
plus compétents pour superviser tout le secteur.
Rouslan Poukhov est directeur du Centre d’analyse stratégique et technologique.