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Les années 2000 ont apporté de profonds changements dans l’édition. Les lecteurs sont revenus à la littérature de qualité et nombreux sont les jeunes auteurs à s’être révélés. Écrivaines ou lectrices, les femmes sont la nouvelle figure des librairies.
Les années 90 furent celles du divorce total entre la critique d’une
part, les grandes maisons d’édition et le grand public d’autre part.
Bien qu’ils soient de plus en plus nombreux, les prix littéraires russes
(Booker russe, Best-Seller national, Yasnaya Poliana, Grand Livre,
etc.) semblaient n’avoir aucun effet sur les ventes. Inversement, la
littérature grand public était ignorée par les critiques.
La donne a
changé avec les « années zéro ». Les amateurs de littérature de gare ou
de genre ont fini par se rabattre sur les séries télé. Seuls les vrais
amateurs de littérature sont restés.
Autre signe des temps modernes,
ces lecteurs sont pour la plupart des lectrices. L’un des romans les
plus populaires ces deux dernières années ?
Le Temps des femmes
. L’auteur, Elena Chizhova, une universitaire pétersbourgeoise, a reçu
le prix Booker russe 2009. En Russie, les femmes lisent beaucoup plus
que les hommes. Ces lectrices sont plus réceptives aux femmes écrivains,
d’où le succès des romans de Dina Rubina, Liudmila Oulitskaïa, Tatiana
Tolstoï, Elena Chizhova, Olga Slavnikova, Elena Katishonok... sans
parler de ces « reines du roman policier féminin » que sont Alexandra
Marinina, Tatiana Oustinova et Daria Dontsova.
Les « années zéro »,
c’est aussi l’âge d’or des découvertes littéraires russes des années
1990, en particulier de Viktor Pelevine et de Vladimir Sorokine. Ils ont
su se constituer un public très fidèle. Lire le dernier Pelevine ou
Sorokine est en outre un signe d’appartenance à un certain milieu
intellectuel. Autre tendance significative des « années zéro »,
l’émergence d’une génération de trentenaires, avec Zakhar Prilepine,
Alexeï Ivanov, Roman Sentchine, Dmitri Novikov. Proches du réalisme, ils
refusent toute approche psychologique de la littérature.
Leader
emblématique de ce mouvement, Zakhar Prilepine a séduit le public
moscovite avec son roman
San’kia,
qui raconte les périples d’un jeune révolutionnaire révolté contre le
capitalisme. Le jeune Alexeï Ivanov a percé dans le monde de la
littérature grâce à ses romans
L’Or de la révolte
et
Le Cœur de Parme
. Originaire de Perm (Oural), il est aussi ethnographe spécialiste des peuples de son Oural natal, qu’il surnomme
« la colonne vertébrale »
de la Russie. Dans son merveilleux roman
Les Eltyshev
, Roman Sentchine raconte l’agonie d’une famille russe ordinaire,
oppressée par les nouvelles conditions économiques. Preuve qu’un roman
peut, sur le thème de la dégradation sociale, devenir un excellent cru
littéraire.
Enfin, le genre biographique a le vent en poupe. Dans la célèbre collection russe
« Vie des gens extraordinaires »
, se succèdent les nombreuses biographies d’écrivains rédigés par des écrivains eux-même. Dmitri Bykov raconte
Boris Pasternak
et
Boulat Okoudjava
, Alexeï Varlamov retrace la vie de
Mikhaïl Boulgakov
,
Alexandre Grin
,
Alexeï Tolstoï
et
Andreï Platonov
, Valéri Popov écrit sur
Sergueï Dovlatov
, etc. L’origine d’un tel succès ? De grands écrivains, racontés par de grands auteurs.
En tant que lectrices ou auteurs, les femmes sont de plus en plus présentes dans le monde du livre.
Entretien
Fontaine de pétrole et de sang
La Russie d’Aujourd’hui a interviewé Boris Akounine, un des auteurs de polar les plus populaires de Russie.
Pourquoi, selon vous, les dix auteurs les plus populaires de Russie sont-ils presque exclusivement des auteurs de polar ?
D’abord ce genre est relativement nouveau en Russie, où il n’existe que
depuis 15 ou 20 ans. À l’époque soviétique, faire figurer un crime dans
la littérature était tout simplement impensable, comment aurait-il pu y
avoir des crimes dans le pays du socialisme victorieux ? Deuxièmement,
le polar est le genre le plus intéressant. Il encourage le lecteur à se
creuser les méninges pour découvrir qui est l’assassin.
Le polar russe est-il spécifique ?
Il est beaucoup plus varié que le polar scandinave, par exemple. Parce
que la vie ici a toujours été une fontaine débordante : une fontaine de
pétrole, de sang, d’émotions...
Pourquoi votre personnage central, Fandorine, est-il si populaire ?
Fandorine possède de nombreuses qualités qui manquent cruellement
dans notre peuple. Les opposés s’attirent, vous savez bien. Fandorine
est réservé, il a du sang-froid, il est scrupuleux, et ne considère pas
les autorités comme quelque chose de sacré. Au fond, mes lecteurs
veulent être comme lui.
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