Un espion derrière l’iPhone

Crédits photo : DR

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Au début, j’enrageais. Je n’espionne pas par le trou de la serrure, tout de même ! Je filme dans des lieux publics, dans la rue, au marché, à la brocante. Mais on m’ordonne d’effacer.

Tout a commencé quand une chaîne de télévision russe m’a demandé d’illustrer mes propos sur la vie parisienne à l’aide de vidéos filmées avec mon iPhone. Je n’ai jamais été photographe, ni n’ai jamais travaillé pour la télévision.

Les premiers problèmes ont surgi au marché. Un vendeur haut en couleurs blaguait, alpaguait les acheteurs. J’ai allumé ma « caméra ». Subitement, il s’est assombri et m’a dit : « Non ! » . J’ai voulu lui expliquer ce que je faisais. Il m’a écoutée patiemment avant de répondre : «  Vous auriez pu demander » . Je me suis dit que c’était une particularité de son caractère. La deuxième fois, c’était lors d’une expo-vente de jeunes artistes. Je filmais une lampe échappant à toute description verbale. Tout à coup, une dame a fait irruption et m’a intimé : « Effacez cela immédiatement ! » J’ai avancé un argument naïf : j’ai tellement envie de montrer cette merveille à nos spectateurs ! Elle a secoué la tête en vérifiant que j’effaçais bien la vidéo, avant de lancer : « Vous auriez pu demander » .

Je me suis posée dans un café pour réfléchir à ma malchance et aux limites de la sphère privée. Mon regard s’est posé sur les pieds nus dans des tongs de mon voisin de table. Avec cela, il portait une veste en ­fourrure. J’adore quand les Parisiens se dévêtissent subitement au premier rayon de soleil, et peu importe que le haut jure avec le bas. Ils peuvent porter un t-shirt et des bottes fourrées, ou des tongs avec une fourrure.

Ne cherche pas les ennuis, disait ma voix intérieure. Mais ma voix réelle articulait déjà :

- Puis-je filmer vos pieds ?

Il s’est servi du vin, a regardé ses pieds, puis m’a répondu : « Allez-y ! » Avant d’ajouter, lisant mes pensées : « Et le manteau aussi, si vous voulez » .

L’expérience a donc réussi. En plus, c’était rigolo.

- Ça ne me serait jamais venu à l’esprit de vous filmer sans autorisation, mais pourquoi m’a-t-on interdit de filmer une lampe dans une foire ?

- Et qui sait si vous n’étiez pas en train de piquer le modèle ? m’a répondu le jeune homme.

C’est vrai que le modèle était étonnant et complètement original. Il y a un tas de choses auxquelles je n’avais pas songé avant d’avoir pris en main une caméra. En fait, l’espace privé, c’est chacun de nous, et ce qui s’y rapporte, où que nous soyons. Hier, à Moscou, j’ai croisé un caniche royal avec une tonsure féérique et j’ai demandé l’autorisation au propriétaire. L’animal a approuvé en se levant sur ses deux pattes arrières.

- D’où venez-vous ? m’a demandé le vieux monsieur.

- Pourquoi pensez-vous que je ne suis pas d’ici ?

- Parce que mon chien se fait photographier tout le temps, mais personne ne me demande l’autorisation.
Natalia Gevorkyan est correspondante à Paris du journal en ligne gazeta.ru

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