Solidarité ferroviaire

Crédits photo : DR

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Ces sacrés Russes
 Pour les traditionnelles vacances du mois de mai, Jean-Pierre a choisi la route des flots bleus en optant pour un séjour sur la mer Noire : direction, Sotchi ! Un choix parfaitement logique : à Sotchi, on mange mal, les hôtels sont dégueulasses, le service est pourri, les plages sont crades et c’est beaucoup plus cher que la Turquie.

Pour corser l’affaire, Jean-Pierre a voulu s’y rendre en train. Manque de bol : il ne restait de place que dans le tortillard qui met 38 heures pour se rendre à destination, plutôt que l’express qui n’en prend que 24.

Arrivé en gare de Kourskaïa (départ : 4h31 du matin), il est d’abord harponné sur le quai par la cheftaine de son wagon, qui vérifie scrupuleusement passeport et billet. Ayant choisi le tarif le moins cher, Jean-Pierre atterrit en troisième classe, un wagon sans compartiment où une soixantaine de personnes ronflent déjà depuis le départ de Saint-Pétersbourg, dans des remugles de transpiration et d’oignons.

À bord, Jean-Pierre parvient tant bien que mal à trouver sa couchette, non sans avoir au préalable écrasé une grand-mère et morflé un coup de tatane de son voisin de couche, réveillé en sursaut par ce nouvel arrivant. Incapable de trouver des draps dans le noir, notre camarade s’endort en sueur sur la couchette en skaï, après avoir jeté un dernier coup d’ œil à sa montre. Il reste 37 heures.
Après quelques heures d’un sommeil pénible, Jean-Pierre est réveillé par la vie du wagon : déjà debout, le voisinage s’affaire aux obligations ferroviaires - une grand-mère coupe le saucisson, deux trentenaires sifflent une première bouteille de vodka, trois gamins courent dans le corridor et deux vieilles jacassent derrière une montagne de graines de tournesol.

Peu familier des longues distances en train, ce benêt de Jean-Pierre n’a rien préparé. Anticipant un wagon-restaurant qui n’existe pas, il n’a pas pensé au ravitaillement. Tout au long du périple, il ne devra son salut qu’à la solidarité des voyageurs. L’occasion aussi de nouer le dialogue et de siffler des verres avec Micha et Sacha, qui font passer les heures avec de la vodka frelatée, et la vodka frelatée, avec des bières chauffées au soleil.

Les 38 heures semblent bien longues à Jean-Pierre, de plus en plus ivre, gavé de hareng salé, et souffrant d’une migraine carabinée en raison du manque d’air dans le wagon surchauffé.

C’est dans un état semi-comateux qu’il sort, enfin, à Sotchi, soutenu par Micha et Sacha qui semblent plus frais que notre héros. Eux aussi vont à Sotchi pour prendre du soleil, et coup de bol : comme Jean-Pierre, ils ont réservé une chambre au Sanatorium №2 ! Le temps de déposer les bagages, les deux nouveaux copains sont déjà au bord de la piscine et appellent Jean-Pierre pour qu’il descende : ils ont trouvé du hareng à l’épicerie du coin, et une bouteille de vodka bien pleine pour fêter les vacances !
François Perreault est expatrié à Moscou depuis quatre ans.

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