La fête de Pessah est l’occasion pour les juifs russes de se réunir.Crédits photo : Kommersant
La communauté juive, brimée sous l’ère soviétique, observait ses traditions dans la clandestinité. Aujourd’hui, elle tente de redonner vie à des coutumes parfois oubliées.
« Mon grand-père fut exécuté en 1950 à Leningrad par l’État soviétique
parce qu’il fabriquait de la matsah, cette galette plate que les juifs
mangent à la place du pain levé pendant les huit jours de la fête de
Pessah, la Pâque juive. Aujourd’hui, mon fils, qui porte le nom de mon
grand-père, est chargé par le Président Dmitri Medvedev de cachériser la
cuisine du Kremlin quand Benyamin Netanyahou, le Premier ministre
israélien, est en visite à Moscou »
, se réjouit le rabbin Ytshak Kogan, qui dirige la principale synagogue Loubavitch de Moscou.
Depuis
la Perestroïka, la vie religieuse juive renaît de ses cendres en
Russie. L’immigration de masse vers Israël et les États-Unis a retardé
une renaissance apparue avec le redressement de l’économie des années
2000. La capitale compte désormais une quinzaine de synagogues, contre
deux à l’époque soviétique. Un chiffre à comparer avec la soixantaine de
synagogues de Paris intra muros.

Pendant les décennies soviétiques, les rites de la fête de Pessah
comptaient parmi les rares à avoir été transmis chez les juifs russes.
La famille se réunissait les deux premiers soirs de la fête, et l’on
mangeait un peu de cette matsah interdite.
« Je me rappelle que ma grand-mère savait encore lire l’hébreu et
regardait quelque chose dans un livre, mais pour moi, cette fête était
l’équivalent d’un simple anniversaire »
, raconte Rita, la secrétaire du Rabbin Kogan. Ce dernier vient au
contraire d’un milieu resté toujours très religieux, une rareté chez les
juifs de Russie.
« Ma famille accueillait tous ceux qui le souhaitaient pour entendre le
récit en hébreu de la sortie d’Égypte ; à Pessah, la porte restait
ouverte toute la nuit, ce qui, dans les années 1950, représentait encore
un péril »
, relate en yiddish le rabbin à longue barbe blanche, coiffé du chapeau noir traditionnel des Hassidim Loubavitch.
Aujourd’hui,
la synagogue qu’il dirige, à quelques centaines de mètres du Kremlin,
accueille 800 personnes pour les repas de la Pâque.
La synagogue chorale de Moscou, celle qui était restée active pendant
l’ère soviétique, invite elle aussi un millier de fidèles pour ces
festins.
« Ce n’est pas forcément une bonne chose »
, tempère Yitshak Lifshitz, responsable du service de nourriture cachère.
« La fête de Pessah est familiale par essence, elle constitue un moment
de transmission essentiel entre les parents et les enfants, les premiers
expliquant aux derniers l’essence et l’histoire du peuple juif. De nos
jours, de nombreuses personnes ont oublié comment la fêter, c’est
pourquoi ils viennent ici ».
Les communautés juives géorgiennes, caucasiennes ou azerbaïdjanaises,
sont restées davantage pratiquantes. Abigail Iakobishvili, qui dirige la
communauté des femmes géorgiennes, en est fière :
« À Tbilissi, nous avons toujours eu de la matsah et de la viande cachère ».
De nos jours, les synagogues de Moscou comptent presque toutes une salle
réservée à la communauté géorgienne, et souvent une autre pour les
juifs des montagnes. À Moscou, c’était une autre ambiance, se rappelle
Rita :
« Quand j’étais enfant, les gens se rendaient à la synagogue chorale, la
seule en état de marche ; on faisait la queue dans un immense escalier
avec nos propres sacs de farine. Et tout en haut, des juifs fabriquaient
la matsah, en silence ».
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