Poutine mise sur le pragmatisme

Image de Niyaz Karim

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Le rapprochement qu’a fait le Premier ministre Vladimir Poutine entre l’opération militaire de la coalition en Lybie et les croisades du Moyen-Age a été considéré par certains comme le dernier exemple de l’opportunisme russe. Il pourrait paraître cynique d’attaquer ainsi une coalition qui a voulu soigner son image en posant comme but premier de l’intervention la protection de la population civile contre un dictateur. La prise de position semble d’autant plus hypocrite, que le Kremlin, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, a apporté son soutien à l’opération en Libye en s’abstenant lors du vote.

Les critiques n’ont pas vraiment compris ce qu’il se passait. Poutine ne s’est pas démarqué des pays occidentaux parce qu’il soutient Mouammar Kadhafi ou qu’il trouve amusant de titiller les États-Unis. Au contraire, ses propos reflètent un pragmatisme basé sur des intérêts économiques bien compris.

Après s’être comparée à l’Occident pendant deux décennies, la Russie a enfin trouvé son propre statut sur la scène internationale. Car l’un des principaux problèmes auquel elle s’est vue confrontée depuis l’effondrement soviétique, c’est qu’elle ne parvenait à se classer dans aucune des catégories institutionnelles ou géopolitiques traditionnelles. Elle a connu la défaite en tant que superpuissance, elle est le pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ayant la croissance la plus faible, l’intrus du G8 et le mouton noir de l’Europe. Quelle que soit la catégorie, elle était perçue au mieux comme un pays à la traîne, au pire comme un collectionneur d’échecs.

La politique étrangère de ces dernières années permet de sortir de l’ornière. L’amélioration économique et une période de relative stabilité à l’intérieur du pays ont permis de générer une nouvelle stratégie nationale et étrangère. Cette stratégie est composée de plusieurs éléments.
Le premier, c’est une règle d’or : ne pas se faire d’ennemis, ou du moins, en avoir le moins possible. La Russie bâtit des relations internationales à une très grande échelle. L’amélioration du climat politique avec les États-Unis et l’Europe fait les gros titres de la presse. Les traités sur la réduction des armes nucléaires, une meilleure coopération avec les pays occidentaux sur l’Iran, des progrès dans les négociations concernant l’entrée dans l’Organisation Mondiale du Commerce, l’approvisionnement stable en gaz de l’Europe et une abstention lors du vote de l’ONU pour éviter une confrontation directe : autant d’améliorations significatives dans les relations entre l’Occident et la Russie.

L’établissement de liens forts avec les pays émergents est également très important. La Russie développe ses relations avec les pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du Sud et du Moyen-Orient. Les pays émergents sont une source importante d’investissements en Russie.
Autre élément tout aussi considérable : les grandes entreprises russes sont encouragées à se manifester sur la scène internationale, notamment en Inde, au Venezuela, au Brésil, dans les États du golfe Persique, en Afrique sub-saharienne et tout particulièrement en Chine.
En 2010, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de la Russie devant l’Allemagne, et c’était avant le lancement officiel du premier oléoduc depuis la Sibérie orientale. Il convient de comparer ce partenariat avec les États-Unis, qui représentent aujourd’hui moins de 4% du commerce extérieur russe. C’est l’Asie et le golfe Persique qui déterminent les prix des principales exportations russes.

L’efficacité et la compétitivité sont loin d’être le point fort de la Russie. Mais une fois la politique et l’économie associées, sa position apparaît considérablement renforcée. Le pays mêle les accords commerciaux et la politique au niveau domestique comme à l’international. Cette approche est conforme à celle de nombreux pays, où les limites entre État et secteur privé sont floues.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre Poutine. La Russie n’est jamais allée très loin en se définissant comme pro- ou anti-occidentale. Elle se veut simplement plus pragmatique. Cela pourrait paraître cynique en 
Occident, mais cette tendance reflète l’idée que se fait Moscou de l’évolution de la situation mondiale.
Roland Nash est conseiller principal en investissement chez Verno Capital.

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