Le rapprochement qu’a fait le Premier ministre Vladimir Poutine entre
l’opération militaire de la coalition en Lybie et les croisades du
Moyen-Age a été considéré par certains comme le dernier exemple de
l’opportunisme russe. Il pourrait paraître cynique d’attaquer ainsi une
coalition qui a voulu soigner son image en posant comme but premier de
l’intervention la protection de la population civile contre un
dictateur. La prise de position semble d’autant plus hypocrite, que le
Kremlin, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, a
apporté son soutien à l’opération en Libye en s’abstenant lors du vote.
Les critiques n’ont pas vraiment compris ce qu’il se passait. Poutine ne
s’est pas démarqué des pays occidentaux parce qu’il soutient Mouammar
Kadhafi ou qu’il trouve amusant de titiller les États-Unis. Au
contraire, ses propos reflètent un pragmatisme basé sur des intérêts
économiques bien compris.
Après s’être comparée à l’Occident pendant
deux décennies, la Russie a enfin trouvé son propre statut sur la scène
internationale. Car l’un des principaux problèmes auquel elle s’est vue
confrontée depuis l’effondrement soviétique, c’est qu’elle ne parvenait
à se classer dans aucune des catégories institutionnelles ou
géopolitiques traditionnelles. Elle a connu la défaite en tant que
superpuissance, elle est le pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine)
ayant la croissance la plus faible, l’intrus du G8 et le mouton noir de
l’Europe. Quelle que soit la catégorie, elle était perçue au mieux comme
un pays à la traîne, au pire comme un collectionneur d’échecs.
La
politique étrangère de ces dernières années permet de sortir de
l’ornière. L’amélioration économique et une période de relative
stabilité à l’intérieur du pays ont permis de générer une nouvelle
stratégie nationale et étrangère. Cette stratégie est composée de
plusieurs éléments. Le premier, c’est une règle d’or : ne pas se
faire d’ennemis, ou du moins, en avoir le moins possible. La Russie
bâtit des relations internationales à une très grande échelle.
L’amélioration du climat politique avec les États-Unis et l’Europe fait
les gros titres de la presse. Les traités sur la réduction des armes
nucléaires, une meilleure coopération avec les pays occidentaux sur
l’Iran, des progrès dans les négociations concernant l’entrée dans
l’Organisation Mondiale du Commerce, l’approvisionnement stable en gaz
de l’Europe et une abstention lors du vote de l’ONU pour éviter une
confrontation directe : autant d’améliorations significatives dans les
relations entre l’Occident et la Russie.
L’établissement de liens
forts avec les pays émergents est également très important. La Russie
développe ses relations avec les pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du
Sud et du Moyen-Orient. Les pays émergents sont une source importante
d’investissements en Russie. Autre élément tout aussi considérable :
les grandes entreprises russes sont encouragées à se manifester sur la
scène internationale, notamment en Inde, au Venezuela, au Brésil, dans
les États du golfe Persique, en Afrique sub-saharienne et tout
particulièrement en Chine.
En 2010, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de la
Russie devant l’Allemagne, et c’était avant le lancement officiel du
premier oléoduc depuis la Sibérie orientale. Il convient de comparer ce
partenariat avec les États-Unis, qui représentent aujourd’hui moins de
4% du commerce extérieur russe. C’est l’Asie et le golfe Persique qui
déterminent les prix des principales exportations russes.
L’efficacité et la compétitivité sont loin d’être le point fort de la
Russie. Mais une fois la politique et l’économie associées, sa position
apparaît considérablement renforcée. Le pays mêle les accords
commerciaux et la politique au niveau domestique comme à
l’international. Cette approche est conforme à celle de nombreux pays,
où les limites entre État et secteur privé sont floues.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre Poutine. La Russie n’est
jamais allée très loin en se définissant comme pro- ou anti-occidentale.
Elle se veut simplement plus pragmatique. Cela pourrait paraître
cynique en Occident, mais cette tendance reflète l’idée que se fait
Moscou de l’évolution de la situation mondiale.
Roland Nash est conseiller principal en investissement chez Verno Capital.
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