Tout plaquer pour l’étranger

Crédits photo : PhotoXpress

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De nombreux jeunes russes veulent travailler à l’étranger. Mais de tous ceux qui partent, combien ne rentrent pas ?

Anton, 25 ans, examine sa serviette. Malgré un poste à responsabilités dans un important groupe pétrolier – qu'il n'aurait obtenu qu'après des années de travail en Occident – il envisage de postuler pour un job moins rémunéré ou pour une formation à Londres. Pour lui, « la Russie est parfois trop triste, surtout l’hiver ».

Les pays occidentaux sont attrayants pour les jeunes russes qualifiés. Ils y trouvent opportunités de travail intéressantes, de meilleures formations, ou tout simplement un climat plus doux. Et même si cette dernière raison peut paraître superflue, de nombreux étudiants russes décident de plier bagage pour vérifier si l’herbe est effectivement plus verte à l’étranger.

« Chaque année, je demande à mes étudiants en Master ce qu’ils veulent faire dans 3 ou 4 ans. En septembre 2010, ils ont été une bonne moitié à répondre qu'ils projetaient de déménager à l’étranger, notamment en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Irlande et en Argentine », indiquait cette année Alexandre Auzan, professeur d’économie à l’Université d’Etat de Moscou lors d’une conférence au Musée polytechnique.

Lors de son premier sommet du G8, en juillet 2008, Dmitri Medvedev tenait sur le sujet un discours optimiste. « Nous devons créer de bonnes conditions pour nos citoyens », affirmait-il. « C’est le manque de telles conditions qui les pousse à partir ».

Selon les dernières données concernant l’émigration, ce discours n’a pas suffi à convaincre les Russes. D’après Sergei Stepachin, président de la Cour des comptes de Russie, plus de 1,25 million de Russes ont quitté le pays au cours des dernières années, ce qui, associé à la chute de la natalité et au niveau élevé de mortalité (l’espérance de vie des hommes se situe à 63 ans) entraîne une baisse considérable de la population. Aujourd’hui, la population russe s’élève à 143 millions d’habitants, soit 3,5 millions moins qu’en 2002.

Au siècle dernier, la première vague d’émigration se produisit lors de la révolution d’Octobre, lorsque des milliers de Russes fuirent le gouvernement bolchevique. Les vagues suivantes furent provoquées par les répressions politiques de l’Union Soviétique, notamment les purges staliniennes ou la campagne anti-religieuse des années 1960-1970. Les émigrés des deux dernières décennies de l’Union Soviétique quittaient le pays pour l’Europe, Israël ou les Etats-Unis, en quête de liberté. Mais la majorité cherchait surtout la prospérité, comme ceux qui ont émigré au cours de la Perestroika ou dans les années 1990.

Aujourd’hui c’est surtout l’absence de ce genre de circonstances de force majeure qui provoque l’inquiétude. La Russie a connu une croissance constante lors de la dernière décennie, avec un PIB six fois doublé, un niveau de pauvreté réduit de moitié et une économie en hausse de 7 % par an en moyenne.

Les experts affirment que c’est l’atmosphère du pays qui est la cause de l’émigration. « La raison principale est le manque d’air frais, ainsi que le décrivait Blok dans son poème consacré à la mort de Pouchkine », estimait récemment Dmitry Orekhov dans le journal d’opposition Novaya Gazeta. « Il devient de plus en plus pénible pour une personne libre et indépendante de respirer dans la Russie de Poutine. On n’y trouve pas sa place. »

D’où vient donc cette atmosphère ? Comme le montrent les résultats de l’étude accompagnant l’article de Dmitri Orekhov, 62,5 % des lecteurs de Novaya Gazeta expliquent la vague d’émigration actuelle par des causes liées, pour la plupart, à la situation personnelle, notamment l’activité, l’âge, la connaissance de langues étrangères, la situation familiale et le niveau d’éducation. Dans l’espace russophone du site LiveJournal, il existe même une communauté nommée « Time to go ? » où l’on s’échange expériences et conseils au sujet de l’émigration.

Le point de vue d’Anna, 32 ans, commissaire d'exposition dans un important centre d’art de Moscou, tranche avec cette vision. Après plusieurs stages en Europe, elle est finalement rentrée en Russie. « Cela peut paraître paradoxal, mais vous trouverez plus d’opportunités de carrière ici si vous le voulez vraiment », considère-t-elle. « Quitter le pays pour un temps donné permet d’acquérir de l’expérience et d’élargir ses horizons, mais cela vaut vraiment la peine de rentrer un jour ».

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