Place aux bourgeois

Crédits photo : RG

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Il n’existe en Russie aucune discrimination d’État envers quelque nation que ce soit. Ces 20 dernières années, c’est-à-dire depuis sa naissance, l’État actuel peut avoir péché dans certains domaines, mais il a été exemplaire sur la question nationale. L ’État ne verse pas d’huile sur le brasier des conflits ethniques, mais il tente de les éteindre par la propagande. Bien qu’en Russie l’État soit primordial et l’individu secondaire, cette politique qui se veut rationnelle n’est pas parvenue à soigner la société de ses maux ethniques. La xénophobie se manifeste tous les jours dans les régions dites « russes » envers les Caucasiens et les ressortissants d’Asie centrale. Et dans les républiques, envers les Russes.


La Russie, c’est une âme généreuse dans un pays mal dégrossi. Ses habitants, les hommes en tête, vivent en moyenne entre 10 et 15 ans de moins qu’en Europe et le taux de meurtres y est plusieurs fois supérieur aux statistiques européennes. Le niveau général de violence, de vulgarité et d’intolérance est très élevé . C’est simple : les gens semblent passer leur temps à se taper dessus. Que peut et doit faire l’État à cet égard ?


Respecter ses obligations premières : arrêter et coffrer les auteurs de délits, en dehors de toute considération d’appartenance nationale ou ethnique. Pourtant, «  la loi est sacrée, mais ses exécutants sont des vauriens  ».


La politique d’État est dénuée de la moindre trace de xénophobie. En revanche, la pratique étatico-policière en est imprégnée, dans deux sens différents. On reproche à la police d’être « achetée » par les Caucasiens. D’un autre côté, les Caucasiens eux-mêmes, et à plus forte raison les défenseurs des droits de l’homme, accusent cette même police de souvent appliquer la présomption de culpabilité aux « nationalités suspectes », c’est à dire aux ressortissants du Caucase. C’est également vrai. On aboutit ainsi à « l’égalité nationale » dans la pratique, par le biais de deux inégalités, celle des populations « privilégiées » et celle des populations « collectivement coupables » qui, d’ailleurs, sont souvent une même nation ! Au final, les Russes, les Caucasiens et les autres ethnies se sentent (à juste titre) tous offensés, et la hargne commune se déverse sur la police puis, par conséquent, sur eux-mêmes. Cependant, en évitant de chercher à exacerber une hystérie à deux sous, on peut dire que les citoyens de Russie sont des gens « normaux » que la question nationale n’a nullement obsédés. Rares sont ceux qui, à part les militants du droit national, prétendent que « l’inégalité nationale » empoisonne leur existence. Il y a d’autres inégalités bien plus criantes dans la vie de tous les jours.


Quelle est donc l’identité nationale de la « nouvelle Russie » ?


La question, finalement, consiste à savoir ce que l’État peut et doit fournir aux Russes.


Nombreux sont ceux qui rêvent de privilèges pour les Russes ethniques par rapport aux « non-Russes », citoyens de la Fédération de seconde zone. Il en résulte que la « nation russe » se forge dans la guerre avec les autres ethnies. Et les membres de ces dernières se définissent donc comme « non-Russes » ou « anti-Russes ». C ercle vicieux garanti. Quel que soit le côté qui a « tiré le premier », personne ne pourra mettre fin à l’engrenage. C’est le meilleur moyen d’arriver à l’autodestruction de l’ethnie russe.


Le multiculturalisme est la seule voie possible. Q ue peut alors faire l’État pour former une nation russe bourgeoise ? Quelle idée unificatrice proposer ? L a Russie doit devenir un pays aisé, non pas pour assouvir ses fantasmes de grande puissance, mais pour le confort et la sécurité de tous ses citoyens. L’ Ét at n’a pas affaire à des ethnies, mais à des individus. Si l’on met en pratique une telle politique, elle soudera la société, Russes et autres ethnies inclus, au sein d’une nation bourgeoise unie.

 

Leonid Radzikhovski est politologue.

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