Alexandra Rebenok et Daniil Vorobiev dans « La vie m’a souri », sur un texte de Pavel Priajko. Crédits photo: Michael Guterman.
Vous pensiez peut-être que la nation qui a enfanté Tchekhov, Gogol, Griboïedov et Ostrovski s’était endormie sur ses lauriers. Qu’on pouvait résumer le théâtre russe actuel à des relectures « avant-gardistes » de textes classiques par des metteurs en scènes acclamés comme Dodine ou Fomenko. Que nenni. Il y a bien eu un trou au début des années 90, mais une flopée de jeunes dramaturges armés d’une langue acérée et épris de réalisme social a brisé la glace.
Chaque soir, une trentaine de
mordus descendent dans la minuscule cave du Teatr.doc, un lieu
désormais culte à Moscou, pour voir les principales créations du
mouvement. Depuis Dostoïevski, on sait que dans le sous-sol russe
naissent des idées capables d’ébranler le monde. Dans cette cave
de Teatr.doc, on se sent un peu comploteur, on attend une explosion.
Et la chimie fonctionne, malgré le dénuement du lieu. Le décor est
souvent réduit au strict minimum, comme dans Jizn oudalas (la vie
m’a souri), où le public est assis en face de quatre rangées de
chaises entre lesquelles les quatre acteurs se meuvent et s’engagent
dans des rapports affectifs d’une expressivité peu commune. La
langue est crue, les émotions sont à vif, le drame se noue au bout
d’à peine quelques minutes et atteint une intensité féroce
jusqu’à la dernière seconde. Ici s’illustre un principe du
mouvement : peu de moyens, efficacité maximum.
Chaque première
de Teatr.doc déclenche des secousses telluriques qui zèbrent peu à
peu le stuc vieillissant des théâtres.
« Le théâtre doit
être contemporain » , tempête Marat Gatsalov, un acteur et metteur
en scène phare du mouvement. « Les théâtres étouffent sous les
textes anciens mais ils nous claquent la porte au nez » , s’insurge
celui qui a monté Jizn oudalas et Khlam (Bric-à-brac), deux
spectacles acclamés. « Contemporain » est un mot qui
revient comme un leitmotiv chez les dramaturges. Une demi-heure après
la création de sa pièce Sentiments mêlés le 5 mars dernier, la
dramaturge ukrainienne Natalia Vorojbit nous donnait sa définition
du Nouveau Drame : « Ce sont des gens qui écrivent sur le
monde contemporain avec un regard et une langue contemporains. Nous
n’avons pas peur d’être provocateurs. Notre écriture doit être
émotionnelle ».
Chose extraordinaire pour un mouvement aussi engagé, les acteurs s’abstiennent de toute emphase. Le reproche qu’on entend souvent au sujet du jeu des acteurs russes est leur inclination à surjouer. Rien de tel ici. Justesse est le maître mot. Aucune trace de cette redondance qui irritait tant Roland Barthes dans le théâtre bourgeois.
Ne cherchez pas de politique dans les textes. En dépit du noyau contestataire de ce mouvement, leurs auteurs refusent la confrontation ouverte avec l’ordre établi. « La politique ne m’intéresse pas, je suis une femme » : Natalia Vorojbit botte en touche. Puis, après une pause, elle admet pensivement : « C’est vrai que ce qui se trame en politique est inacceptable. Quelque part je ressens une honte à ne pas écrire sur ce sujet » . Et de conclure : « Au fond, sans que nous en ayons vraiment discuté entre nous, je pense que nous considérons le sujet comme trop malpropre pour être évoqué » . Un comble, alors que le Nouveau Drame prend à bras-le-corps des sujets tabous comme la drogue, la prostitution, l’homosexualité.
Malgré des thèmes périlleux, le mouvement a trouvé un public fidèle. Et la reconnaissance n’est peut-être pas loin. L’hiver qui vient de s’écouler a vu le Nouveau Drame redoubler d’activité en montant des spectacles au rythme effarant d’une à deux créations par semaine en dépit de l’absence totale de soutiens financiers. De toute évidence, le virus du Nouveau Drame est virulent. On ignore simplement la durée de la période d’incubation avant l’épidémie.
ENTRETIEN : « C’est un processus vivant et largement incompris »
Daria Ekamasova est une jeune actrice formée à la prestigieuse école du GITIS (diplômée en 2007). Elle partage sa carrière entre le cinéma (9 films) et les planches du Teatr.doc et du Centre des Dramaturges et Régisseurs.
Est-ce que vous vous sentez appartenir au « Nouveau Drame » ?
Je
suis entrée il n’y a pas si longtemps dans le mouvement. Tout a
démarré lorsque j’ai tourné dans le film de Boris Khlebnikov
Nage libre [tourné en 2005], dont le scénario a été écrit par le
Alexandre Rodionov [qui fait partie du Nouveau Drame, NDLR]. J’y ai
trouvé de nouvelles relations, des gens extrêmement talentueux. Je
suis très sensible à ce qui se passe dans le mouvement. En tant
qu’actrice, c’est un travail passionnant.
Est-il
plus intéressant et stimulant de jouer une pièce du « Nouveau
Drame » que de jouer dans un grand théâtre moscovite ?
Pour moi, le plus important, ce n’est pas la scène, c’est le texte. J’ai une faim dévorante pour les rôles intéressants et complexes. Malheureusement, ils sont rares.
Quels
sont vos dramaturges favoris dans le mouvement du « Nouveau Drame »?
Mes
auteurs favoris sont Kourotchkine, Ougarov, Dournenkov, Gremina,
Rodionov, Bondarenko. Quelque chose de profond jaillit d’eux.
J’apprécie avant tout les pièces où l’auteur ne donne pas dans
la surenchère en matière de linge sale… cela se remarque tout de
suite. Il me semble parfois que les auteurs font la course à qui
dira le plus de grossièretés, de propos orduriers, etc. Il s’est
formé une branche dans le Nouveau Drame qui va dans cette direction,
et elle me déplaît.
Quelle
est votre définition du « Nouveau Drame » ?
C’est
un mouvement entièrement neuf qui ne possède pas pour l’instant
de cadre très défini. La seule délimitation claire, c’est qu’il
n’y a pas un kopek dans ce mouvement. Pour le reste, c’est un
processus vivant, libre, largement incompris et non défriché.
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