Sortir des défilés et de leurs mensonges

Chronique littéraire de Christine Mestre

Titre : Le livre des brèves amours éternelles
Editions : Seuil

 

Le Livre des brèves amours éternelles s’inscrit dans la droite ligne des précédents ouvrages d’Andréï Makine, La Femme qui attendait , La Vie d’un homme inconnu , L’amour humain où, déjà, l’auteur écrivait : « il n’y a que l’amour pour sauver l’humain » . Makine persiste et signe avec huit récits, souvenirs de moments de la vie du narrateur, de l’enfance à l’âge mûr. Moments fugaces et pourtant essentiels. Transporté par la fulgurante évidence de la force de l’amour, celui qui les vit est posé au cœur du monde dans sa plénitude d’humain, au-delà des enjeux misérables que lui proposent les sociétés, totalitaires ou libérales, au-delà de l’espace, du temps, de la mort, de la laideur du monde.
Instantanés emblématiques de moments de vie qui mettent en scène des destins sculptés dans la masse d’une société cruelle. Estropiés de la vie, femmes inconsolables, amants séparés par le tourbillon de l’Histoire ou Don Quichotte exsangue, tel Dmitri Ress que l’on retrouve dans les premiers et derniers récits et qui s’épuise dans un combat inégal contre une société qu’il divise en trois catégories : « Les conciliants, les ricaneurs, les révoltés » .


Mais il y a aussi ceux qui, sans pour autant hurler avec les loups, ne les combattent pas, car la haine est absente de leur cœur, « ceux qui ont la sagesse de s’arrêter dans une ruelle et de regarder la neige tomber, de voir une lampe qui s’est allumée dans une fenêtre, de humer la senteur du bois qui brûle » .


Makine évoque bien sûr la Russie soviétique, l’avenir radieux dont rêve l’enfant, et qui ne viendra pas, la désillusion de l’adolescent, les vies meurtries, ceux qui combattent « la servilité avec laquelle tout homme en tout temps renie l’intelligence pour rejoindre le troupeau » . On se situe dans l’universel, et c’est l’homme qui importe. « Dans ce duel avec l’Histoire, il ne peut pas y avoir de vainqueur » , t outes les sociétés fabriquent des créatures serviles, mais chaque homme, dès lors qu’il abandonne la quête d’un bonheur d’animal bien nourri, est « capable de quitter la marche grégaire du défilé, ses vociférations exaltées, ses emblèmes écrasants, ses mensonges » et d’accéder au bonheur, dans le partage d’un moment humble et essentiel.

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