L’hôpital ou la vertu

Crédits photo : DR

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C’est arrivé sournoisement, par une belle journée de printemps, quand la neige commence à fondre et les glaçons coulent comme la sève. Jean-Pierre se baladait en sifflotant, lorsqu’un bruit sourd l’a fait s’immobiliser. Quelques secondes plus tard, notre ami gisait sur le trottoir ; un pain de glace d’une bonne taille avait glissé du toit, heurtant l’animal en pleine tronche. Rassurez-vous : il ne s’agit que d’une légère commotion cérébrale – l’ouverture sanguinolente de huit centimètres n’a touché que le cuir chevelu.


Rien de grave, mais le camarade a été bien secoué. En rouvrant les yeux, il aperçoit un décor blafard dans les teintes de jaune pipi, et une forte odeur de camphre titille ses narines. Quelques grognements, à sa gauche, lui font péniblement tourner la tête : une dizaine de personnes sont alitées autour de lui dans une pièce défraîchie. Jean-Pierre doit se rendre à l’évidence : il a été hospitalisé à la clinique numéro 1038, dans un quartier excentré de la capitale.


Dans la chambre, c’est un peu le souk. Tous les patients ont visiblement des visiteurs, qui semblent installés comme s’ils y campaient pour la nuit. À droite, une jeune femme malade est prise en charge par sa grand-mère, laquelle fait des décoctions étranges sur un réchaud de fortune. À gauche, un homme alité est soigné par sa femme, qui prépare des montagnes de petits sandwichs au saucisson que le grabataire avale goulûment au rythme de leur fabrication.


Quelques heures passent avant la tournée du médecin. « Tout va bien » , assure ce dernier, quelques jours de repos, et les points de suture seront fixés, Jean-Pierre aura son congé. Les soins sont gratuits, mais si notre ami veut une chambre individuelle, on peut s’arranger, fait le toubib avec un air entendu. L’infirmière qui prend le relais s’inquiète : «  Y a-t-il des proches qui pourraient vous apporter de la nourriture »  ? À la vue de l’horrible brouet tiède à base de beurre et de gruau offert par l’établissement, Jean-Pierre comprend la teneur de l’appréhension. Heureusement, la femme du voisin l’a pris en pitié, et le nourrit à grandes doses de saucisson.


Petit joueur, notre ami n’a pas tenu longtemps à ce régime. Inquiet pour la qualité des soins, il a préféré se faire transférer dans une clinique privée « internationale », grâce aux bons et loyaux services de son assurance. Pour mille euros par nuit, il a droit à une chambre individuelle jaune pipi qui sent le camphre, et au même gruau – mais plus chaud. Quant aux soins, ce sont les mêmes, assurés par un docteur soi-disant polyglotte qui maîtrise le russe et l’ukrainien. Décidément, Jean-Pierre aurait dû faire confiance à la médecine russe, et aux bonnes tisanes de la gentille grand-mère d’à côté.

 

François Perreault est expatrié à Moscou depuis quatre ans.

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