Le régime devrait dire merci à ses opposants

Interdiction du jasmin en Chine et dispersion des opposants en Russie : la mauvaise réponse politique

Ces derniers temps, les dirigeants chinois sont passés en mode de gestion de crise : renforcement de la censure sur Internet, interception des informations provenant du monde arabe, retrait de la vidéo de Hu Jintao chantant la chanson traditionnelle chinoise « Le jasmin », et vagues d’arrestations préventives, dont celles de quelques blogueurs chinois populaires. Le roi Abdallah d’Arabie saoudite, depuis plusieurs mois en convalescence à l’étranger, a regagné son royaume et annoncé 36 milliards d’aides sociales pour apaiser les tensions. Le peuple devrait bénéficier de plus de prestations sociales, d’une augmentation des allocations chômage, ainsi que de subventions à l’éducation et au logement.

 

En Russie, évoquant les révoltes dans le monde arabe, le Président Dmitri Medvedev a déclaré qu’ « on nous avait déjà concocté un tel scénario », et que « désormais, plus que jamais, ils essaieront de le mettre en œuvre » . Qui sont « ils » ? Qu’avaient-ils préparé et que vont-ils de nouveau essayer ?

 

La peur est mauvaise conseillère. Qu’il s’agisse de la Chine, de l’Arabie saoudite ou de la Russie, les forces au pouvoir n’ont aucune raison apparente de s’inquiéter. « Il est frappant de voir que le gouvernement chinois, si riche et autoritaire, et qui connaît un succès économique fulgurant, s’abandonne si facilement à la peur » , écrit Fei-Ling Wang, professeur en affaires internationales au Georgia Institute of Technology (USA).

 

Un tel comportement peut paraître suspect : les dirigeants en savent-ils plus que nous ? La situation est-elle pire qu’il ne semble ? Les politiques traitent les révolutions de manière hystérique. C’est le principe du « tout ou rien », c’est « eux ou nous ». Pourtant, il serait bien plus productif de se pencher sur les actions à engager pour changer la donne. Ainsi, on verrait qu’il n’est nul besoin d’une nouvelle répartition des rôles et des pouvoirs, mais en revanche d’institutions et de valeurs nouvelles.

 

Contrairement à la Chine et à l’Arabie saoudite, l’époque soviétique en Russie a représenté une expérience unique en son genre, accompagnée d’une modernisation partielle, notamment du monde agricole. Nous sommes devenus une société urbanisée, avec un secteur industriel fort, une éducation et des valeurs caractéristiques des pays développés. Mais la modernisation était délibérément partielle. Restent les objectifs clés non réalisés : la construction d’un État moderne, l’allégement de la bureaucratie, le passage d’une « gouvernance par la loi » à la prééminence du droit, l’établissement d’une véritable représentativité. Autant de tâches faisant appel à la créativité et dont l’exécution repose sur des hommes politiques irréprochables pouvant se prévaloir d’expériences positives, notamment à l’étranger. Il faut du sang neuf pour renouveler cette institution archaïque qui a pour raison d’être le bien de ses fonctionnaires et que l’on appelle « État ».

 

La société russe est prête à se battre pour les valeurs nouvelles qu’elle revendique. Mais il est tout à fait réaliste de penser que cette lutte se fera en douceur. D’ailleurs, les révolutions les plus réussies de l’histoire mondiale sont les « révolutions par la négociation », comme la restauration de Meiji au Japon, les accords passés entre les travailleurs et les syndicats en Suède, la transition démocratique espagnole, la chute de l’apartheid en Afrique du Sud. Révolutions de par leurs conséquences, ces mutations sont le fruit de négociations, non d’une explosion violente. Chacune a progressivement conduit à de profonds changements et à la création d’un nouveau pays. Un processus loin de ce que nous avons vécu en 1917, ou de ce que connaît l’Égypte en ce moment.

 


L’interdiction du jasmin en Chine et la dispersion des manifestants en Russie sont une mauvaise réponse politique qui tend à radicaliser l’opposition. Il faut promouvoir les réseaux sociaux, autoriser le jasmin et le porter à la boutonnière. Il faut permettre à l’opposition de se développer, afin qu’elle devienne une force capable d’œuver pour l’avenir de son pays. Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine devraient considérer leurs opposants avec gratitude et espoir. Les manifestants devraient avoir accès à tous les grands lieux de rassemblement, car ils incarnent l’aspiration à un avenir meilleur, à une révolution par la négociation, sans mauvaise surprise.

 

 

Maxim Trudoliubov est éditorialiste de « Vedomosti ».

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies